décembre 04, 2014

Des mégapoles mondiales en concurrence !

L'Université Liberté, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.



Centres de pouvoir politique, entités aux commandes de l’économie mondiale, pôles diversifiés de la culture planétaire, les villes mondiales se développent sur tous les continents. Leur puissance se mesure désormais à la variété et au nombre de leurs connexions. Partenaires et/ou rivales, les villes mondiales ont toutefois des identités diverses. Chacune est une combinaison de fonctions économiques spécifiques et de connexions globales particulières.

Notion délicate à cerner et relevant d’une terminologie floue, le concept de la ville mondiale se voit appliquer, depuis une dizaine d’années, un nombre croissante de définitions destinées à la caractériser.

Des appellations multiples

Dans un article intitulé "La ville mondiale : une histoire de représentations"*1 publié dans "Les villes mondiales" (dossier de la revue Questions internationales n°60, mars-avril 2013), Anne Bretagnolle explique comment « certaines villes se sont, dès l’Antiquité, pensées comme centre de monde, un monde à leur dimension et à leur portée. Leur acte de fondation en témoigne : Babylone, Pékin, Alexandrie, Athènes ou Rome s’étendent autour d’un site symbolique (…) Paris, qui n’a jamais été qualifiée par les historiens de centre de l’économie-monde, atteint un tel rayonnement culturel qu’elle est qualifiée de "ville mondiale" par Goethe en 1797. »

L’auteure dresse un inventaire exhaustif des appellations proposées pour définir la ville mondiale. Concernant la notion de « métropole mondiale », « il faut attendre la fin du XIXe siècle pour que des polarisations d’échelle mondiale soient évoquées. Les métropoles sont alors définies par Halford MacKinder et Paul Vidal de la Blache comme permettant l’articulation du local et du global grâce aux réseaux de transport mécaniques modernes, qui leur assurent une "nodalité" exceptionnelle. (…) Le terme "mégalopolis" est proposé en 1961 par le géographe français Jean Gottmann, à partir de l’observation de la région urbaine de la côte Est des États-Unis. Il qualifie une région urbaine s’étendant de manière continue sur plusieurs centaines de kilomètres de Boston à Washington, rassemblant plusieurs dizaines de millions d’habitants (…). »

Les concepts d’« archipel mégalopolitain mondial » ou d’« économie en archipel » (…) « insistent surtout sur les liens horizontaux tissés entre les villes d’envergure mondiale (…) qui parviennent à occuper des positions stratégiques dans les flux mondiaux. (…) Le terme world city, apparu sous la plume de Paul Geddes au début du XXe siècle, désigne (…) des conurbations, formes urbaines tentaculaires nées de l’étalement de très grandes villes grâce aux chemins de fer. (…) À partir des années 1980, les descriptions d’une nouvelle économie globale insistent sur le rôle des métropoles mondiales et font état de villes "mondiales" ou "globales" et de "systèmes de villes mondiales ". (…) Les puissantes économies d’agglomérations et les rendements croissants qui les caractérisent leur  permettent de se développer constamment pour devenir plus grandes et former des "global megalopolitan regions". (…)

Depuis le XXe siècle, la croissance urbaine affecte fortement les pays en développement et privilégie les très grandes villes. (…) Les mégapoles, dont la taille est sans commune mesure avec celle des autres villes du pays, ne constituent pas forcément des nœuds de l’archipel mégalopolitain mondial. Ainsi Bogota ou Le Caire, peuplées de respectivement de 8 et 12 millions d’habitants en 2007 selon l’ONU, concentrent 15 à 20 % de la population de leur pays. Elles ne figurent pourtant qu’au 55e et 59e rang des métropoles les plus connectées en 2000 dans le classement du Globalization and World Cities research network …. »

La course à la verticalité

cône architecturale du XXe siècle, le gratte-ciel garde aujourd’hui toute sa vitalité. Céline Bayou en fait la démonstration dans un article intitulé "La ville-debout : le gratte-ciel au XXIe siècle"*1. En effet, « le lien entre la tour et la projection de puissance de la ville qui s’en dote reste fort »,  alors que « la course vers le ciel traduit l’aspiration constante à l’élévation, spirituelle comme temporelle. (…)Apparus à la toute fin du XIXe siècle, les gratte-ciel ont d’abord été l’apanage de quelques grandes villes américaines, avant que l’Europe n’entre dans la course à la hauteur. Aujourd’hui, la compétition a changé de rivages, la prolifération de tours construites en Asie et les records de hauteur détenus par le Moyen-Orient bouleversant la carte des villes verticales. Réponse à la croissance urbaine mais, plus encore, symbole de richesse et de pouvoir, le gratte-ciel est un outil marketing qui, par l’image qu’il projette, continue d’incarner la ville moderne. Curieusement malgré les coûts qu’il induit  – de construction comme d’entretien – et alors que l’époque se prête plus volontiers aux discours sur le développement durable et la ville verte, il semble triompher de l’essoufflement du capitalisme mondial. »


Se positionnant en tant que nouveaux acteurs mondiaux, les villes participent de la globalisation contemporaine et apparaissent comme les ancrages territoriaux urbains de la mondialisation.

Quels critères pour classer une ville ?

Dans un texte intitulé "Comment se vendre sur le marché mondial ?"*2 publié dans le n°8082 de la revue Documentation photographique (Anne Bretagnolle, Renaud Le Goix et Céline Vacchiani-Marcuzzo, "Métropoles et mondialisation", La Documentation française, juillet-août 2011), les auteurs montrent que « les métropoles adoptent des stratégies de communication pour développer leur attractivité mondiale, notamment quand elles sont très spécialisées. Elles visent à diversifier leur portefeuille d’activités pour faciliter une sortie de crise (Liverpool ou d’autres villes marquées par la première révolution industrielle) ou anticiper une crise à venir (les villes du Golfe, menacées par le déclin prévisible de la rente pétrolière). Il faut attirer le tourisme international, les firmes, les investisseurs. Le city marketing fait appel à des cabinets de consultants internationaux et s’appuie souvent sur des partenariats public-privé, relayés dans des grandes villes par des agences de promotion, comme pour DubaiTourism. Les discours convergent : on met en avant le patrimoine de la ville, les aménités du site, la qualité de sa gouvernance (propreté et sécurité). Ils sont assortis d’icônes ou de slogans simples et faciles (city branding), orientés vers la culture à Liverpool, le luxe à Dubai. »

le top 10 des villes qui comptent dans le monde selon les classements mondiaux

Le top 10 des villes qui comptent dans le monde selon les classements mondiaux
Indicateur des différents classements

Rang
Global
Network
Connectivity
Index 2008
Global
Network
Connectivity
Index 2000
Image
2009
Attractivité
2009
Investissements
2008-2009
1
Londres
Londres
Londres
Londres
Londres
2
New York
New York
New York
Bombay
Shanghai
3
Hong Kong
Hong Kong
Paris
New York
Hong Kong
4
Paris
Paris
Shanghai
Shanghai
Paris
5
Singapour
Tokyo
Hong Kong
Paris
Pékin
6
Tokyo
Singapour
Bombay
 
Moscou
7
Sydney
Chicago
Singapour
 
Barcelone
8
Milan
Milan
Tokyo
 
Madrid
9
Shanghai
Los Angeles
Pékin
 
Tokyo
10
Pékin
Toronto
Sydney
 
New York

Indicateur des différents classements (Suite)

 Rang
Global
Power
City Index
2011
Global
Cities
Index
2008
Master
Card
Index
2008
Cities of
Opportunities
2010
World
Cities
Survey
2010
1
New York
New York
Londres
New York
New York
2
Londres
Londres
New York
Londres
Londres
3
Paris
Paris
Tokyo
Singapour
Paris
4
Tokyo
Tokyo
Singapour
Chicago
Tokyo
5
Singapour
Hong Kong
Chicago
Paris
Los Angeles
6
Berlin
Los Angeles
Hong Kong
Toronto
Bruxelles
7
Séoul
Singapour
Paris
Sydney
Singapour
8
Hong Kong
Chicago
Francfort
Tokyo
Berlin
9
Amsterdam
Séoul
Séoul
Hong Kong
Pékin
10
Francfort
Toronto
Amsterdam
Stockholm
Toronto


Sources : tableau établi à partir de GaWC Bulletin Research, no 300 ; Paris-Île-de-France Capitale économique & KPMG, 2010 (colonnes 4, 5 et 6) ;
Institute for Urban Strategies. The Mori Memorial Foundation, 2012 ; A. T. Kearney and the Chicago Council on Global Affairs, 2008 ; MasterCard,
2008 ; PriceWaterCoopers, 2010 ; Knight Frank & City Bank, 2010.

Expression spatiale de la globalisation

« Aujourd’hui, les six cents plus grandes métropoles planétaires représentent plus d’un tiers de la richesse mondiale. Ce phénomène est favorisé par une urbanisation croissante : depuis 2008, il y a dans le monde plus de citadins que de ruraux, et cette évolution devrait se poursuivre jusqu’en 2050. D’ici là, la population urbaine mondiale pourrait croître de 200 000 habitants en moyenne par jour », note la rédaction de la revue Problèmes économiques dans  un numéro consacré aux "Villes dans la globalisation" *2 (n° 3093, La Documentation française, août 2014).

Mais au-delà d’une certaine uniformisation réductrice que produit inévitablement la globalisation, Lise Bourdeau-Lepage affirme dans un article intitulé "Un monde polycentrique et métropolisé" *1 (publié dans "Les villes mondiales", Questions internationales, n° 60, mars-avril 2013, La Documentation française) que « le rôle que joue une métropole dépend d’une multitude de facteurs. Il n’existe donc pas d’archétype de métropoles globales, mais plutôt des métropoles globales qui se différencient les unes des autres, formant des réseaux urbains variés au sein desquels les villes qui comptent dans le monde interagissent. Ces réseaux peuvent être économiques – par exemple financiers, commerciaux –, de recherche, mais aussi politiques – comme celui reliant les villes capitales –, culturels, sociaux, écologiques, etc. Un monde multicentrique et métropolisé émerge ainsi, dans lequel chaque métropole présente une combinaison d’atouts qui lui est propre et lui permet de s’insérer dans cet archipel urbain global où la complémentarité semble prendre le pas sur la concurrence. »



Ce qui caractérise avant tout les villes mondiales, c’est leur capital démographique et leur densité. La hiérarchie des grandes agglomérations mondiales, pour sa part, est un compromis entre critères démographiques et économiques.

La domination de l’Asie

Dans un article intitulé "Nouvelle hiérarchie des grandes agglomérations et nouvelles formes de peuplement"*1 publié dans "Les villes mondiales" (dossier de la revue Questions internationales n°60, mars-avril 2013), François Moriconi-Ébard et Cathy Chatel affirment que « les historiens s’accordent sur le fait qu’aucune ville n’avait jamais pu dépasser le seuil de 1 à 1,2 million d’habitants jusqu’au début du XIXe siècle. C’est en Europe que ce seuil fut pour la première fois dépassé. Pionnière de la révolution industrielle, l’Angleterre voit en effet sa capitale franchir les 2 millions d’habitants dès 1842. Paris la suit en 1863, puis New York (1875), Berlin (1892), Chicago (1893), Manchester (1903), Vienne (1906), Tokyo (1908) et Philadelphie (1911).  À la veille de la Première Guerre mondiale, cinq des huit plus grandes villes du monde sont donc européennes et une seule asiatique. (…)

En 2010, la Chine abrite les deux agglomérations de loin les plus peuplées au monde : Shanghai – qui englobe également Nanjing et Hangzhou – et Shenzhen – comprenant Guangzhou (Canton), Macao et la partie nord des New Territories de Hong Kong. Au 14e rang mondial, on trouve également une troisième agglomération chinoise, Pékin (Beijing). (…) Seul autre pays à dépasser le milliard d’habitants, l’Inde compte quatre agglomérations de plus de 10 millions d’habitants. Les États-Unis, le Brésil, le Japon et le Pakistan en possèdent deux. Au seuil minimum de 10 millions d’habitants, tous les grands pays sont représentés, à l’exception notable de l’Allemagne. La domination de l’Asie, où vivent les deux tiers de l’humanité, est écrasante.

Les agglomérations de plus de 10 millions d’habitants

Les agglomérations de plus de 10 millions d’habitants
 
Agglomération
Pays
Nombre d’habitants
(en milliers)
Superficie urbanisée
(en km2)
Densité
(en h/km2)
Année des
dernières
sources
1
Shanghai
Chine
94 500
22,630
4,176
2010
2
Shenzhen
Chine
44 409
5,321
8,346
2010
3
Tokyo
Japon
39 800
4,201
9,474
2010
4
 New York
États-Unis
27 764
20,388
1,362
2010
5
Delhi
Inde
23 300
1,411
16,513
2011
6
Jakarta
Indonésie
22 551
2,199
10,255
2010
7
Séoul
Corée
20 500
1,179
17,388
2010
8
Manille
Philippines
20 078
1,092
18,386
2010
9
Karachi
Pakistan
19 589
807
24,274
2010
10
São Paulo
Brésil
18 890
2,008
9,407
2010
11
Mexico
Mexique
18 050
1,746
10,338
2010
12
Cochin
Inde
17 950
9,033
1,987
2011
13
Calcutta
Inde
17 200
1 852
9 287
2011
14
Pékin
Chine
16 700
2 400
6 958
2010
15
Bombay
Inde
16 500
465
35 484
2011
16
Le Caire
Égypte
15 691
1 328
11 816
2006
17
Dhaka
Bangladesh
15 680
1 077
14 559
2011
18
Los Angeles
États-Unis
15 449
7 099
2 176
2010
19
Osaka
Japon
14 500
2 900
5 000
2010
20
Bangkok
Thaïlande
14 160
3 150
4 495
2010
21
Moscou
Russie
14 009
1 901
7 369
2010
22
Hô Chi Minh-Ville
Vietnam
13 750
3 000
4 583
2009
23
Istanbul
Turquie
13 460
1 126
11 954
2011
24
Téhéran
Iran
12 135
1 917
6 330
2011
25
Rio de Janeiro
Brésil
11 350
1 568
7 239
2010
26
Buenos Aires
Argentine
11 200
2 500
4 480
2010
27
Lagos
Nigeria
10 590
863
12 271
2006
28
Paris
France
10 518
1 867
5 634
2009
29
Londres
Roy.-Uni
10 223
2 190
4 668
2011
30
Lahore
Pakistan
10 000
367
27 248
2008
 
Ensemble
 
610 496
109 585
5 571
2010
 
Reste de la planète
 
6 220 091
135 890 415
46
2010

Date de référence : 1er juillet 2010.
Source : d’après e-Geopolis.

Mais un deuxième indicateur est également étroitement corrélé au sommet de la hiérarchie : c’est le trafic des ports maritimes. Shanghai est devenue depuis 2009 le plus grand port au monde (650 millions de tonnes de fret en 2010) et, en additionnant les trafics des ports de Shenzhen et de Guangzhou, la conurbation de la rivière des Perles atteint 621 millions de tonnes. Suivant le même calcul, la baie de Tokyo arrive au 3e rang en additionnant le trafic des quatre ports de Yokohama, Kawasaki, Tokyo et Chiba. 

Cet indicateur rappelle l’importance fondamentale des échanges de biens matériels dans le processus de formation des agglomérations urbaines. À l’opposé, le déclassement spectaculaire des agglomérations d’Europe est la conséquence de la désindustrialisation rapide du continent au cours des trois dernières décennies. »

Le revers de la médaille ?

La croissance des villes mondiales est leur force, mais peut aussi révéler leur fragilité et contribue à la création d’inégalités, à l’échelle infra-métropolitaine. « Et si la ségrégation socio-spatiale était la rançon à acquitter pour demeurer une ville mondiale ? », s’interroge Stéphane Leroy dans un article intitulé "La ségrégation socio-spatiale dans les villes mondiales" *1.

En effet, « les conséquences de la mondialisation sur l’espace interne des métropoles sont considérables. La tertiarisation généralisée et l’hyperspécialisation économique des plus grandes villes ont bouleversé les fragiles équilibres socio-spatiaux. La division sociale de l’espace urbain s’est recomposée au profit des populations plus qualifiées et plus aisées qui peuvent choisir leur localisation résidentielle, se regrouper entre elles et mettre à distance les plus défavorisées. »

Dans un texte intitulé "Des métropoles inégalitaires"*2 publié dans le n°8082 de la revue Documentation photographique (Anne Bretagnolle, Renaud Le Goix et Céline Vacchiani-Marcuzzo, "Métropoles et mondialisation", La Documentation française, juillet-août 2011), les auteurs expliquent qu’« évaluer les inégalités intra-urbaines est possible grâce à un indicateur très utilisé à l’échelle des États, le coefficient de Gini. (…) Si, à l’échelle mondiale, le Brésil arrive en tête des pays les plus inégalitaires pour la population totale, à l’échelle des villes, ce sont trois métropoles sud-africaines – East London, Johannesburg et East Rand – qui présentent les plus forts contrastes socio-économiques (…). Dans leur ensemble, les métropoles africaines présentent les plus fortes inégalités dans le monde …. »

La mondialisation et l’urbanisation croissante qui l’accompagne, si elle « engendre de nombreuses externalités positives, comme un meilleur accès à l’éducation, à la santé, à l’information, etc., (…) provoque aussi (…) de multiples effets négatifs », notamment « une bidonvillisation galopante. *2» (Problèmes économiques, n° 3093 consacré aux "Villes dans la globalisation" (La Documentation française, août 2014).)

 

Anne Bretagnolle est professeur de géographie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, unité mixte de recherche « Géographie-cités ».

1. La notion de ville mondiale est-elle typique des XXe et XXIe siècles ou n’a-t-elle pas toujours existé ?

Cette notion est très en vogue depuis les années 1990, même si les expressions employées sont variables : en France ou dans les pays francophones, on parle généralement des métropoles mondiales, tandis que les pays anglo-saxons évoquent plutôt la notion de ville-monde (world city, global city). L’objet géographique renvoie pourtant à une réalité beaucoup plus ancienne, qui peut être analysée selon deux grilles de lecture.

La première est celle de la ville mondiale comme capitale d’un territoire-monde, faisant appel à une vision hiérarchique et verticale des fonctions urbaines. Dès l’Antiquité, des villes comme Babylone, Pékin, Alexandrie ou Rome se sont pensées comme centre du monde, même si ce monde ne constituait pas encore la totalité du globe terrestre. Elles ont d’ailleurs largement mis en scène cette centralité mondiale par leur symbolique monumentale et urbanistique. Au Moyen Âge, avec les progrès de la navigation, des villes comme Venise, Amsterdam ou Londres ont tour à tour dominé un vaste réseau de villes et de comptoirs. La République maritime de Venise ressemble à un véritable empire colonial, composé d’îles, de villes, de places fortifiées ou de ports, en Méditerranée, dans l’Atlantique nord et au Moyen Orient.

La deuxième vague de mondialisation des échanges, au XIXème siècle, a largement contribué à développer une nouvelle représentation de la ville mondiale, plus horizontale, renvoyant à l’idée d’un espace planétaire organisé par des nœuds inter-connectés, liés par des relations de compétition et de complémentarité. New York ou Londres sont décrites par Paul Vidal de la Blache ou Halford Mackinder comme des super-nœuds, maritimes et ferroviaires, des interfaces entre le local et le global dominant chacune de vastes portions du monde. Mais c’est surtout avec la phase actuelle de la mondialisation des échanges, débutant aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, que la vision horizontale et réticulaire s’impose, notamment avec les travaux de Peter Hall ou Saskia Sassen. On a là un système monde, constitué d’un archipel de nœuds extrêmement bien connectés les uns aux autres et assurant par leurs interdépendances le fonctionnement de l’ensemble du système productif mondial et de la finance globalisée. Les villes mondiales d’aujourd’hui sont celles qui dominent l’économie-monde et ne doivent pas être confondues avec les mégapoles des pays en développement, démesurément grandes par leur taille mais économiquement dépendantes des premières.

2. Pourquoi est-ce important pour une métropole d’accéder au statut de ville mondiale aujourd’hui ?

Il serait illusoire de penser qu’on peut "accéder" au statut de ville mondiale à grands coups d’opérations médiatiques, par exemple en construisant le gratte-ciel le plus haut du monde, l’hôtel ou le centre commercial le plus luxueux, ou bien encore en accueillant des événements sportifs ou culturels d’ampleur mondiale. Il s’agit là de stratégies développées par certaines villes de pays émergents pour attirer plus d’entreprises transnationales, de touristes ou de travailleurs qualifiés, voire par d’anciennes métropoles industrielles européennes ou américaines pour redynamiser leur image. Même les métropoles mondiales qui s’imposent actuellement dans les pays d’Asie (Shanghai, Hong Kong, Singapour, etc.) partagent avec leurs homologues d’Europe ou d’Amérique du Nord deux caractéristiques fondamentales : la diversité de leurs fonctions, qui leur permet de traverser les crises liées à des fins de cycle ou des bouleversements mondiaux, et l’accumulation historique de leur richesse, à la fois mobilière et immobilière. Ces deux caractéristiques ne s’acquièrent pas en quelques années….

3. Quelle est la pertinence des critères retenus pour classer les villes mondiales ? Et pour qui ces hiérarchies ont-elles un sens ?

Il est extrêmement difficile de proposer une liste des villes mondiales, et cela pour deux raisons. Tout d’abord, on manque de bases de données fiables et comparables à l’échelon du monde, par exemple sur la richesse produite par les villes (Produit urbain brut) ou sur les caractéristiques des firmes transnationales dans chaque grande ville du monde (nombre et importance des sièges sociaux, densité et taille des réseaux de filiales ou sous-traitants). Ensuite, même lorsqu’on s’intéresse à un indicateur qui paraît simple en apparence, celui de l’accessibilité dans les réseaux d’échanges aériens mondiaux, les choix dans le type de données et leur traitement sont multiples et amènent à des classements divergents. Enfin, chacun des trois critères proposés aboutit à une hiérarchie différente des villes mondiales. Sur les 10 premières déterminées par chacun des critères pour les années comprises entre 2008 et 2010, seules 4 apparaissent simultanément (New York, Londres, Tokyo et Paris), tandis que 14 des 20 répertoriées ne sont citées que dans l’un des trois classements. Il est néanmoins important de continuer à travailler sur ces critères et ces hiérarchies, pour enrichir les bases de données et mieux comprendre la dynamique particulière des villes mondiales.

4. Cette compétition entre les villes ne contribue-t-elle pas à accroître les inégalités la fois entre les villes et en termes d’habiter, à savoir pour les populations de ces villes ?

Il est clair, que même s’il est difficile de proposer une liste précise des villes mondiales, l’étude de leur richesse, de leur accessibilité dans les réseaux d’échanges et de leurs fonctions économiques ou culturelles montre un creusement des écarts avec la situation de la plupart des autres villes. Le renforcement actuel des processus de mondialisation économique rend ce phénomène de décrochage extrêmement inquiétant, non seulement pour les petites villes qui, pour la plupart, participent de moins en moins aux dynamiques mondiales (sauf à en subir les effets), mais aussi pour les populations qui vivent à l’intérieur des métropoles mondiales.

On observe aujourd’hui des tensions de plus en plus fortes, liées notamment à la présence de cadres hyperqualifiés qui travaillent dans les sièges sociaux des firmes transnationales mais aussi dans tout ce qui gravite autour (consultants, experts, analystes, chercheurs…). On a là une dissociation croissante avec les classes sociales plus modestes, dont la présence reste nécessaire au fonctionnement des entreprises, des services urbains, des services à la personne, etc. Or les villes mondiales se caractérisent par des prix fonciers extrêmement élevés, en raison de la présence de ces cadres mais aussi de mécanismes spéculatifs, ce qui entraîne ou accentue des processus de ségrégation socio-spatiale. Ces processus sont assez préoccupants car, historiquement, l’un des rôles majeurs joué par les grandes villes est de mettre en contact une diversité d’activités économiques et de catégories sociales et ethniques, favorisant ainsi l’innovation et de la créativité. On évoque par exemple beaucoup la créativité des banlieues aujourd’hui, qu’il ne faut certes pas nier, mais on doit aussi se rappeler que c’est bien la centralité qui fait la ville et que les banlieues sont, par définition, éloignées du centre et peu reliées les unes aux autres. En outre, elles sont de plus en plus homogènes socialement et favorisent de ce fait assez peu les rapprochements entre les catégories.


*1:
DossierLes villes mondiales
Ouverture. Mondialisation et villes mondiales (Serge Sur)
La ville mondiale : une histoire de représentations (Anne Bretagnolle)
La banalisation d’un modèle urbain (Marc Dumont)
La ville debout : le gratte-ciel au XXIe siècle (Céline Bayou)
La ségrégation socio-spatiale dans les villes mondiales (Stéphane Leroy)
Nouvelle hiérarchie des grandes agglomérations et nouvelles formes de peuplement (François Moriconi-Ébrard et Cathy Chatel)
Mondialisation et gouvernance des métropoles (Christian Lefèvre)
Tourisme, salons, congrès, composantes incontournables des villes mondiales (Hélène Pébarthe-Désiré)
Un monde polycentrique et métropolisé (Lise Bourdeau-Lepage)
Les principaux Encadrés du dossier
– New York, LA ville mondiale par excellence ? (Marie-Fleur Albecker)
– Los Angeles, une métropole fragmentée (Renaud Le Goix)
– Le rôle des transports ferroviaires (Marie Delaplace)
– La montée en puissance des villes mondialisées asiatiques (Frédéric Bouchon)
– Les villes-mémoires mondialisées, entre conflits et nouveau régime patrimonial (Géraldine Djament-Tran)
– Les villes mondiales  : quelques éléments chronologiques (Questions internationales)
Chroniques d’actualité
Premières leçons de l’intervention française au Mali (Renaud Girard)
John Kerry ou les habits neufs de la diplomatie américaine (André La Meauffe)
Questions européennes
Les tiraillements de la politique extérieure de la Suisse (Hervé Rayner)
Regards sur le monde
Corée du Sud : les défis de la nouvelle présidence (Perrine Fruchart Ramond)
Histoires de Questions internationales
Paris, capitale des exilés de l’Europe centrale après 1945 ? (Antoine Marès)
Les questions internationales sur Internet
Abstracts


*2:
Actrices majeures d’un monde globalisé, les grandes villes se livrent entre elles à une compétition acharnée. La Documentation photographique propose ici une réflexion originale et utile sur ce phénomène et ses conséquences, inscrits désormais au programme de géographie de quatrième.
Les grandes villes jouent désormais aussi un rôle majeur dans la mondialisation. Métropoles du Nord et métropoles émergentes se livrent une compétition sur tous les fronts : l’économie, l’innovation technologique, la culture ou le marketing urbain. Les habitants des centres urbains ont à subir eux-mêmes les impacts de la globalisation : accroissement des inégalités urbaines, transformation des centres-villes, surenchères foncières. Les auteurs de ce dossier proposent une réflexion renouvelée sur ces enjeux, en lien avec le nouveau programme de géographie de quatrième de la rentrée 2011. Comme tous les dossiers de la Documentation photographique, ce numéro offre une iconographie de qualité, accompagnée de cartes, d’encadrés, d’indications statistiques...



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