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janvier 30, 2023

RP#1-Janvier/2023 - Thématique: Enseignement


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«  Au lendemain de la guerre, en 1947, les communistes Langevin et Wallon proposèrent de réaliser en France l'école unique, creuset de l'homme nouveau socialiste. Repoussé par deux fois à la Chambre sous la IVe République, ce projet fut mis en œuvre, paradoxalement, par De Gaulle au début de la Ve. […] Dès cette date, l'Éducation ne fut plus nationale. Elle fut, de jure, cogérée par le ministère et les syndicats. De facto, elle fut gérée par les syndicats seuls, car les ministres passaient (et souvent sautaient), alors que les syndicats restaient. Je dis bien que l'Éducation « nationale » usurpe désormais ce qualificatif, car la nation, qui n'a d'autre organe d'expression que le suffrage universel, et d'autres représentants légitimes que le Parlement et le Gouvernement, n'eut plus jamais, de ce jour, son mot à dire dans la politique éducative du pays. »

    — Philippe Nemo, Une trop longue erreur

 

SOMMAIRE:

A - Mobiliser la communauté éducative autour du projet d’établissement-Cour de comptes

B - Baccalauréat et socialisme (extrait) - Frédéric BASTIAT

C - Egalitarisme à la française: la preuve par l'absurde -

Philippe Nemo: Une trop longue erreur; Une trop longue erreur...





A - Mobiliser la communauté éducative autour du projet d’établissement

 Synthèse:

En dépit d’une dépense nationale d’éducation supérieure à la moyenne des pays de l’organisation de coopération et de développement économiques – OCDE – (109 584 USD contre 105 502 USD pour l’éducation d’un élève de 6 à 15 ans en 2021(OCDE, Regards sur l’éducation 2022,2022 .), le système éducatif français peine à produire des résultats satisfaisants et les difficultés que rencontre son pilotage, particulièrement centralisé, conduisent à s’interroger sur la manière dont les établissements scolaires peuvent se mobiliser, à leur niveau, pour bâtir et mettre en œuvre un projet pédagogique adapté aux spécificités de leurs élèves, afin d’améliorer leur réussite, point focal de l’attention des parents . Comme le montrent les enquêtes internationales, le système scolaire français ne parvient pas à réduire les inégalités ; il tend plutôt à les creuser, malgré les dispositifs mis en œuvre pour remédier aux situations les plus défavorables, mais qui connaissent des limites .
En effet, malgré les objectifs d’égalité du système éducatif, l’ensemble des rapports sur la mixité scolaire dans les établissements, tout comme les analyses sur les différences de résultats aux examens nationaux et d’accès à la filière générale du lycée, montrent à quel point l’uniformité nationale formelle peut s’accommoder de larges inégalités réelles de traitement des élèves .
Par ailleurs, la décentralisation a amendé le pilotage strictement national de l’éducation en transformant les lycées et les collèges en établissements publics locaux d’enseignement (EPLE)  . En confiant davantage de responsabilités aux collectivités tout en maintenant les pouvoirs étendus de l’État, ce nouveau statut invitait l’établissement à prendre toute sa place dans le pilotage pédagogique, en mobilisant notamment les marges de manœuvre qui lui sont allouées . Adoptée par la loi d’orientation n° 89-486 du 10 juillet 1989, la notion de projet d’établissement est venue compléter les modalités de pilotage de l’EPLE .
L’enquête menée par la Cour s’est attachée à dresser un état des lieux en analysant la manière dont les EPLE se mobilisent autour de ce projet . Elle s’est intéressée à la place de l’établissement public local d’enseignement au sein du système éducatif, et à ses capacités d’action, telle que définies par les textes réglementaires .
 
La Cour a pu mesurer combien ces établissements ont été, ces dernières années, impactés par des dispositions normatives visant à la fois leurs missions et leurs relations, notamment la loi n° 2019-79 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance qui a renforcé la place de l'évaluation à tous les échelons du système éducatif .
Ses travaux ont également analysé la place du chef d’établissement pour mieux faire ressortir les ambiguïtés qui demeurent attachées à cette fonction . Un fossé important existe ainsi entre la perception qu’ont les familles du rôle des chefs d’établissement, et la réalité des leviers dont ces derniers disposent au quotidien pour diriger leurs établissements .
 
Un projet d’établissement encore trop peu mobilisé
 
Chacun des collèges et des lycées doit, comme l’impose le code de l’éducation, se doter d’un projet d’établissement, fixant les choix pédagogiques et la politique éducative de l’établissement pour une durée de trois à cinq ans . Il s’agit notamment d’adapter le cadre scolaire national aux caractéristiques des élèves de l’établissement, pour favoriser leur réussite . La démarche engagée par le chef d’établissement, est collective et vise, à partir d’un diagnostic tiré de l’évaluation de chaque établissement, à définir, avec les représentants de la communauté éducative, les modalités particulières de mise en œuvre des orientations, des objectifs et des programmes nationaux, ainsi que du projet académique . Or, la moitié des établissements ne sont pas dotés d’un tel projet, et, parmi ceux qui le sont, la qualité de la démarche et la portée du document sont très inégales .
Question sondage « votre établissement disposait-il d’un projet d’établissement signé avec les services académiques ? » Réponse: Oui à 50%.

Des marges de manœuvre insuffisamment exploitées
 
Au-delà de l’autonomie juridique que les textes réglementaires accordent aux EPLE, leur capacité d’action se décline à plusieurs niveaux incluant la gestion des ressources humaines, l’organisation pédagogique des heures d’enseignement, ou encore le pilotage pédagogique et éducatif par la construction de leur d’établissement, adapté aux besoins des élèves et aux spécificités du territoire .
Force est cependant de constater que, derrière l’affichage d’une autonomie formelle, les marges de manœuvre des établissements ne sont pas toujours suffisamment saisies . Avec des situations environnementales, sociales, économiques et culturelles comparables, et à moyens d’enseignement analogues, deux établissements peuvent avoir des résultats très différents en matière de réussite scolaire.
La Cour a cherché à en comprendre les raisons . Elle a également tenté de mesurer le coût et l’efficacité des moyens affectés aux EPLE, et d’identifier les voies susceptibles d’en améliorer l’efficience .
Face au creusement des inégalités et aux résultats mitigés des élèves français dans le cadre des évaluations internationales, une amélioration de l’organisation scolaire s’avère indispensable . Pour cela, le ministère doit se doter d’une véritable stratégie reposant sur plusieurs piliers qui lui font encore défaut, au premier rang desquels devraient figurer un renforcement du rôle des chefs d’établissement et une refonte des modalités d’allocation des moyens en direction des EPLE .
 
Une autonomie juridique formelle et limitée
 
Se fondant sur l’observation d’une quarantaine d’établissements, la Cour a cherché à comprendre quels étaient les leviers à disposition des établissements au service de la réussite de leurs élèves, et la façon dont ils s’en emparaient pour préconiser des évolutions possibles .
Si les EPLE disposent juridiquement d’une autonomie, les marges de manœuvre dont ils bénéficient dans les faits pour adapter leur organisation pédagogique sont inégales . De nombreux freins, autant liés à la gouvernance des établissements qu’à l’hétérogénéité des acteurs (institution scolaire, enseignants, parents d’élèves, collectivités territoriales) qu’il faut parvenir à mettre en synergie, peuvent en effet limiter la volonté des équipes éducatives de se mobiliser .
Cette inégalité est le résultat d’une combinaison de facteurs relevant, au premier chef, d’un modèle de gestion rigide et très centralisé . Peu de place est en effet laissée à l’appréciation des équipes éducatives face à une administration ancrée dans une culture de gestion « descendante » . Elle traduit également la capacité variable des chefs d’établissement à fédérer leurs équipes pédagogiques . Enfin, la situation sociale des élèves, de même que l’implantation géographique de l’établissement sont déterminantes dans les choix éducatifs réalisés par un EPLE .
 
Renforcer les capacités d’action des chefs d’établissement  
 
Le chef d’établissement est un acteur-clé dans la conduite d’un projet pédagogique et éducatif . Il lui revient d’engager une dynamique collective au sein de l’établissement et d’en assurer le suivi au quotidien .
Malgré cela, sa légitimité et la définition de ses prérogatives souffrent d’insuffisances . Si des évolutions positives sont intervenues ces dernières années pour renforcer son rôle d’encadrant de proximité, les leviers à sa disposition, notamment en matière d’évaluation des enseignants sont encore limités .
Les marges de manœuvre dont il dispose ne suffisent pas pour lui permettre de valoriser l’investissement d’un enseignant impliqué dans la vie de l’établissement, motiver son équipe et mieux rétribuer ceux de ses membres les plus investis.
 
 

 
Face à ce constat, la Cour appelle à une évolution des conditions d’exercice professionnel des chefs d’établissement pour en faire de véritables cadres dirigeants au sein de l’institution, bénéficiant des prérogatives associées à leur statut, sans pour autant étendre eurs attributions actuelles en matière de recrutement . Le ministère doit accompagner cette évolution par un renforcement de leur formation et de leur accompagnement, ainsi qu’une modernisation de la gestion de leur carrière .
 
Moduler davantage l’allocation des moyens aux EPLE
 
Le système scolaire français s’appuie sur une logique d’allocation des moyens éducatifs globalement uniforme, à l’exception des établissements relevant de l’éducation prioritaire et des moyens de fonctionnement apportés par les collectivités territoriales . Le critère principal demeure, le plus souvent, le nombre d’élèves fréquentant l’établissement rapporté à un nombre de divisions (classes) . Les résultats et la situation sociale des élèves, tout comme le contexte géographique de l’établissement, ne sont pas pris en compte de manière systématique sur l’ensemble du territoire, certaines académies déployant des modalités d’allocation progressive des moyens à partir d’indicateurs élaborés par la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), quand d’autres s’en abstiennent .
Sous couvert d’un objectif d’égalité, l’institution scolaire tend, en réalité, à ne pas suffisamment corriger les inégalités existantes . Pour contrecarrer cette situation, la Cour estime que l’efficience des moyens alloués aux établissements serait mieux assurée si les modalités d’allocation prenaient davantage en compte les résultats des  évaluations et les contraintes pesant sur le lieu d’implantation de l’EPLE, et si elles étaient mieux coordonnées avec les interventions des collectivités territoriales.
 
Recommandations
 
1.
Veiller à ce que chaque EPLE dispose d’un projet d’établissement à jour, condition préalable à la mise en œuvre d’une démarche d’évaluation (MENJ).
2.
Engager une rationalisation des outils de pilotage des établissements en faisant du projet d’établissement le document pivot permettant une meilleure appropriation de l’action stratégique de l’établissement (MENJ)
3.
Confier au chef d’établissement l’évaluation des enseignants du second degré, en ménageant une possibilité de recours auprès de l’inspecteur, (recommandation réitérée) (MENJ)
4.
Annualiser les obligations de service des enseignants du second degré, en quantifiant les missions individuelles et collectives des enseignants assurées en dehors des heures de cours (recommandation réitérée) (MENJ)
5.
Au sein de la dotation globale, laisser à la main du chef d’établissement une enveloppe permettant de valoriser l’investissement d’enseignants au regard des objectifs du projet d’établissement (MENJ)
6.
Réformer les modalités de recrutement et de mutation des chefs d’établissement en réservant à
l’échelon central la seule désignation des postes spécifiques, des nouveaux titulaires et des personnels changeant d’académie (MENJ)
7.
Intégrer, dans les modèles d’allocation des moyens aux établissements, des critères tenant compte du profil des élèves scolarisés, des caractéristiques spécifiques de l’établissement, notamment géographiques, et de la mise en œuvre de projets particuliers en faveur de la réussite des élèves (MENJ)
8.
Favoriser la contractualisation entre établissements, académies et collectivités territoriales afin d’intégrer une véritable logique de complémentarité des moyens apportés aux EPLE (MENJ)
 
 
Rapport de la Cour des Comptes (en pdf)
 
 

 
 B - Baccalauréat et socialisme (extrait)
 

J'ai soumis à l'assemblée un amendement qui a pour objet la suppression des grades universitaires. Ma santé ne me permet pas de le développer à la tribune. Permettez-moi d'avoir recours à la plume. [...] Les grades universitaires ont le triple inconvénient d'uniformiser l'enseignement (l'uniformité n'est pas l'unité) et de l'immobiliser après lui avoir imprimé la direction la plus funeste. [...] La liberté peut être considérée au point de vue des personnes et relativement aux matières - ratione personae et ratione materiae, comme disent les légistes ; car supprimer la concurrence des méthodes, ce n'est pas un moindre attentat à la liberté que de supprimer la concurrence des hommes.

Il y en a qui disent : "La carrière de l'enseignement va être libre, car chacun y pourra entrer." C'est une grande illusion. L'État, ou pour mieux dire le parti, la faction, la secte, l'homme qui s'empare momentanément, et même très légalement, de l'influence gouvernementale, peut donner à l'enseignement la direction qui lui plaît, et façonner à son gré toutes les intelligences par le seul mécanisme des grades...

Moi, père de famille, et le professeur avec lequel je me concerte pour l'éducation de mon fils, nous pouvons croire que la véritable instruction consiste à savoir ce que les choses sont et ce qu'elles produisent, tant dans l'ordre physique que dans l'ordre moral. Nous pouvons penser que celui-là est le mieux instruit qui se fait l'idée la plus exacte des phénomènes et sait le mieux l'enchaînement des effets aux causes. Nous voudrions baser l'enseignement sur cette donnée. - Mais l'État a une autre idée. Il pense qu'être savant c'est être en mesure de scander les vers de Plaute, et de citer, sur le feu et sur l'air, les opinions de Thalès et de Pythagore.

Or que fait l'État ? Il nous dit : Enseignez ce que vous voudrez à votre élève ; mais quand il aura vingt ans, je le ferai interroger sur les opinions de Pythagore et de Thalès, je lui ferai scander les vers de Plaute, et, s'il n'est assez fort en ces matières pour me prouver qu'il y a consacré toute sa jeunesse, il ne pourra être ni médecin, ni avocat, ni magistrat, ni consul, ni diplomate, ni professeur.

Dès lors je suis bien forcé de me soumettre, car je ne prendrai pas sur moi la responsabilité de fermer à mon fils tant de si belles carrières. Vous aurez beau me dire que je suis libre ; j'affirme que je ne le suis pas, puisque vous me réduisez à faire de mon fils, du moins à mon point de vue, un pédant, - peut être un affreux petit rhéteur, - et à coup sûr un turbulent factieux.

Car si encore les connaissances exigées par le Baccalauréat avaient quelques rapports avec les besoins et les intérêts de notre époque ! si du moins elles n'étaient qu'inutiles ! mais elles sont déplorablement funestes. Fausser l'esprit humain, c'est le problème que semblent s'être posé et qu'ont résolu les corps auxquels a été livré le monopole de l'enseignement. [...]

Les doctrines subversives auxquelles on a donné le nom de socialisme ou communisme sont le fruit de l'enseignement classique, qu'il soit distribué par le clergé ou par l'Université. [...] Relativement à la société, le monde ancien a légué au nouveau deux fausses notions qui l'ébranlent et l'ébranleront longtemps encore.

L'une : que la société est un état hors de nature, né d'un contrat. Cette idée n'était pas aussi erronée autrefois qu'elle l'est de nos jours. Rome, Sparte, c'était bien des associations d'hommes ayant un but commun et déterminer : le pillage ; ce n'était pas précisément des sociétés mais des armées.

L'autre, corollaire de la précédente : Que la loi créé les droits, et que, par suite, le législateur et l'humanité sont entre eux dans les mêmes rapports que le potier et l'argile. Minos, Lycurgue, Solon, Numa avaient fabriqué les sociétés crétoise, macédoniennes, athénienne, romaine. Platon était fabriquant de républiques imaginaires devant servir de modèles aux futurs instituteurs des peuples et pères des nations.

Or, remarquez-le bien, ces deux idées forment le caractère spécial, le cachet distinctif du socialisme, en prenant ce mot dans le sens défavorable et comme la commune étiquette de toutes les utopies sociales.

Quiconque, ignorant que le corps social est un ensemble de lois naturelles, comme le corps humain, rêve de créer une société artificielle, et se prend à manipuler à son gré la famille, la propriété, le droit, l'humanité, est socialiste. Il ne fait pas de la physiologie, il fait de la statuaire ; il n'observe pas, il invente ; il ne croit pas en Dieu, il croit en lui-même ; il n'est pas savant, il est tyran ; il ne sert pas les hommes, il en dispose ; il n'étudie pas leur nature, il la change, suivant le conseil de Rousseau

Il s'inspire de l'antiquité ; il procède de Lycurgue et de Platon. - Et pour tout dire, à coup sûr, il est bachelier.

Voyons donc à quoi se réduit [...] cette Liberté que vous dites si entière.

En vertu de votre loi, je fonde un collège. Avec le prix de la pension, il me faut acheter ou louer le local, pourvoir à l'alimentation des élèves et payer les professeurs. Mais à coté de mon collège, il y a un Lycée. Il n'a pas à s'occuper du local et des professeurs. Les contribuables, moi compris, en font les frais. Il peut donc baisser le prix de la pension de manière à rendre mon entreprise impossible. Est-ce là de la liberté ?

Maintenant je me suppose père de famille ; je mets mes fils dans une institution libre : quelle est la position qui m'est faite ? Comme père, je paye l'éducation de mes enfants, sans que nul me vienne en aide ; comme contribuable et comme catholique, je paye l'éducation des enfants des autres, car je ne puis refuser l'impôt qui soudoie les Lycées, ni guère me dispenser, en temps de carême, de jeter dans le bonnet du frère quêteur l'obole qui doit soutenir les séminaires. En ceci, du moins, je suis libre. Mais le suis-je quant à l'impôt ? Non, non, dites que vous faites de la Solidarité, au sens socialiste, mais n'ayez pas la prétention de faire de la Liberté.

Et ce n'est là que le très-petit coté de la question. Voici qui est plus grave. Je donne la préférence à l'enseignement libre, parce que votre enseignement officiel (auquel vous me forcer à concourir, sans en profiter) me semble communiste et païen ; ma conscience répugne à ce que mes fils s'imprègnent des idées spartiates et romaines qui, à mes yeux du moins, ne sont que la violence et le brigandage glorifié. En conséquence, je me soumets à payer la pension pour mes fils, et l'impôt pour les fils des autres. Mais qu'est ce que je trouve ? Je trouve que votre enseignement mythologique et guerrier a été indirectement imposé au collège libre, par l'ingénieux mécanisme de vos grades, et que je dois courber ma conscience à vos vues sous peine de faire de mes enfants des parias de la société. - Vous m'avez dit quatre fois que j'étais libre. Vous me le diriez cent fois, que cent fois je vous répondrais : je ne le suis pas. [...]

Enfin, examinons la question au point de vue de la Société, et remarquons d'abord qu'il serait étrange que la société fut libre en matière d'enseignement si les instituteurs et les pères de famille ne le sont pas. La première phrase du rapport de M. Thiers sur l'instruction secondaire, en 1844, proclamait cette vérité terrible : "L'éducation publique est l'intérêt le plus grand d'une nation civilisée, et, par ce motif, le plus grand objet de l'ambition des partis."

Il semble que la conclusion à tirer de là, c'est qu'une nation qui ne veut pas être la proie des partis doit se hâter de supprimer l'éducation publique, c'est à dire par l'État, et de proclamer la liberté de l'enseignement. S'il y a une éducation confiée au pouvoir, les partis auront un motif de plus pour chercher à s'emparer du pouvoir, puisque, du même coup, ce sera s'emparer de l'enseignement, le plus grand objet de leur ambition. La soif de gouverner n'inspire-t'elle pas assez de convoitise ? ne provoque-t'elle pas assez de luttes, de révolutions et de désordres ? et est-il sage de l'irriter encore par l'appât d'une si haute influence ?

Et pourquoi les partis ambitionnent-ils la direction des études ? Parce qu'ils connaissent ce mot de Leibniz : "Faites-moi maître de l'enseignement, et je me charge de changer la face du monde." L'enseignement par le pouvoir, c'est donc l'enseignement par un parti, par une secte momentanément triomphante ; c'est l'enseignement au profit d'une idée, d'un système exclusif. "Nous avons fait la République, disait Robespierre, il nous reste à faire des républicains" ; tentative qui a été renouvelée en 1848. Bonaparte ne voulait faire que des soldats, Frayssinous que des dévots, Villemin que des rhéteurs. M. Guizot ne ferait que des doctrinaires, Enfantin que des saint-simoniens, et tel qui s'indigne de voir l'humanité ainsi dégradée, s'il était jamais en position de dire l'État c'est moi, serait peut être tenté de ne faire que des économistes. Eh quoi ! ne verra-t-on jamais le danger de fournir aux partis, à mesure qu'ils s'arrachent le pouvoir, l'occasion d'imposer uniformément et universellement leurs opinions, que dis-je ? leurs erreurs par la force ? Car c'est bien employer la force que d'interdire législativement toute autre idée que celle dont on est soit même infatué...

Maintenant, je répète ma question : Au point de vue social, la loi que nous discutons réalise-t-elle la liberté ?

Autrefois il y avait une Université. Pour enseigner il fallait sa permission. Elle imposait ses idées et ses méthodes, et force était d'en passer par là. Elle était donc, selon la pensée de Leibniz, maîtresse des générations, et c'est pour cela sans doute que son chef prenait le titre significatif de grand maître.

Maintenant tout cela est renversé. Il ne restera à l'Université que deux attributions :

1° le droit de dire ce qu'il faudra savoir pour obtenir les grades ;

2° le droit de fermer d'innombrables carrières à ceux qui ne se seront pas soumis.

Ce n'est presque rien, dit-on. Et moi je dis : ce rien est tout.

Ceci m'entraîne à dire quelque chose d'un mot qui a été souvent prononcé dans ce débat : c'est le mot unité ; car beaucoup de personnes voient dans le Baccalauréat le moyen d'imprimer à toutes les intelligences une direction, sinon raisonnable et utile, du moins uniforme, et bonne en cela...

Il y a deux sortes d'unités. L'une est un point de départ. Elle est imposée par la force, par ceux qui détiennent momentanément la force. L'autre est un résultat, la grande consommation de la perfectibilité humaine. Elle résulte de la naturelle gravitation des intelligences vers la vérité.

La première unité a pour principe le mépris de l'espèce humaine, et pour instrument le despotisme. Robespierre était unitaire quand il disait : "J'ai fait la République, je vais me mettre à faire des républicains." [...] Procuste était Unitaire quand il disait : "Voilà un lit : je raccourcirai ou j'allongerai quiconque en dépassera ou n'en atteindra pas les dimensions." Le Baccalauréat est Unitaire quand il dit : La vie sociale sera interdite à quiconque ne subit pas mon programme." [...]

La liberté c'est le terrain où germe la véritable unité et l'atmosphère qui la féconde. La concurrence a pour effet de provoquer révéler et universaliser les bonnes méthodes, et de faire sombrer les mauvaises. Il faut bien admettre que l'esprit humain a plus naturelle proportion avec la vérité qu'avec l'erreur, avec ce qui est bien qu'avec ce qui est mal, avec ce qui est utile qu'avec ce qui est funeste. S'il n'en était pas ainsi, si la chute était naturellement réservée au Vrai, et le triomphe au Faux, tous nos efforts seraient vains ; l'humanité serait fatalement poussée, comme le croyait Rousseau, vers une dégradation inévitable et progressive. Il faudrait dire avec M. Thiers : L'antiquité est ce qu'il y a de plus beau au monde, ce qui n'est pas seulement une erreur mais un blasphème. - Les intérêts des hommes, bien compris, sont harmoniques, et la lumière qui les leur fait comprendre brille d'un éclat toujours plus vif. Donc les efforts individuels et collectifs, l'expérience, les tâtonnements, les déceptions même, la concurrence, en un mot, la Liberté - font graviter les hommes vers cette unité, qui est l'expression des lois de leur nature, et la réalisation du bien général...

Peut-on douter que l'enseignement, dégagé des entraves universitaires, soustrait, par la suppression des grades, au conventionnalisme classique, ne s'élançât, sous l'aiguillon de la rivalité, dans des voies nouvelles et fécondes ? Les institutions libres, qui surgiront laborieusement entre les lycées et les séminaires, sentiront la nécessité de donner à l'intelligence humaine sa véritable nourriture, à savoir : la science de ce que les choses sont et non la science de ce qu'on en disait il y a deux mille ans. "L'antiquité des temps est l'enfance du monde, dit Bacon, et, à proprement parler, c'est notre temps qui est l'antiquité, le monde ayant acquis du savoir et de l'expérience en vieillissant." L'étude des œuvres de Dieu et de la nature dans l'ordre moral et dans l'ordre matériel, voilà la véritable instruction, voilà celle qui dominera dans les institutions libres. Les jeunes gens qui l'auront revue se montreront supérieur par la force de l'intelligence, la sûreté du jugement, l'aptitude à la pratique de la vie, aux affreux petits rhéteurs que l'université et le clergé auront saturés de doctrines aussi fausses que surannées. Pendant que les uns seront préparés aux fonctions sociales de notre époque, les autres seront d'abord à oublier, s'ils peuvent, ce qu'ils auront appris, ensuite à apprendre ce qu'ils devraient savoir. En présence de ces résultats la tendance des pères de famille sera de préférer les écoles libres, pleines de sève et de vie, à ces autres écoles succombant sous l'esclavage de la routine...

L'effroyable désordre moral [de notre époque] ne naît pas d'une perversion des volontés individuelles abandonnées à leur libre arbitre. Non, il est législativement imposé par le mécanisme des grades universitaires. M. de Montalembert lui même, tout en regrettant que l'étude des lettres antiques ne fut pas assez forte, a cité les rapports des inspecteurs et doyen des facultés. Ils sont unanimes pour constater la résistance, je dirai presque la révolte du sentiment public contre une tyrannie si absurde et si funeste. Tous constatent que la jeunesse française calcule avec une précision mathématique ce qu'on l'oblige d'apprendre et ce qu'on lui permet d'ignorer, en fait d'études classiques, et qu'elle s'arrête juste à la limite où les grades s'obtiennent. En est-il de même dans les autres branches des connaissances humaines, et n'est-il pas de notoriété publique que, pour dix admissions, il se présenté cent candidats tous supérieurs à ce qu'exigent les programmes ? Que le législateur compte donc la raison publique et l'esprit des temps pour quelque chose... 

Extrait du discours que Frédéric Bastiat, député des Landes, aurait aimé prononcer à la chambre, s'il n'en avait été empêché par la tuberculose, lors des débats sur la liberté de l'enseignement, qui devaient aboutir au vote de la loi Falloux du 15 mars 1850.

 

: Frédéric Bastiat, Baccalauréat et Socialisme, Œuvres complètes, tome IV : Sophismes économiques, petits pamphlets I, Paris : Guillaumin, 2ème éd. 1863, pp. 442 à 503.

: "Celui qui ose entreprendre d'instituer un peuple doit se sentir en état de changer, pour ainsi dire, la nature humaine..., d'altérer la constitution morale et physique de l'humanité..." (Contrat social, chap. VII)

Extrait de l’édition originale en 7 volumes (1863) des œuvres complètes de Frédéric Bastiat, tome IV, Baccalauréat et socialisme, pp. 442-503.

Originellement mis sur le ouèbe par le site libertarien et non conformiste, en remerciant M. Pellissier-Tanon. Édité par François-René Rideau pour Bastiat.org.

 


 C - Egalitarisme à la française: la preuve par l'absurde

Il y a déjà quelques années que le diagnostic d’un égalitarisme mortifère qui rend l’école française toujours plus inégalitaire a été posé. Tellement d’années qu’on pourrait croire non seulement ce diagnostic partagé, mais même quelques solutions trouvées, quelques traitements de choc appliqués avant le coma et la mort clinique. Eh bien, pas du tout ! Mieux, on s’aperçoit qu’à tous les échelons de l’Education nationale, des adeptes zélés du culte du dieu Egalité représentent fort dignement une espèce que la disparition ne guette pas. Professeurs, journalistes, sociologues, parents, recteurs et inspecteurs…

Inspecteurs, justement. L’un d’eux offrait dernièrement à l’auteur de ces lignes une petite démonstration de son talent. Le sujet : l’école maternelle. Et la régulation des « flux scolaires » par une administration soucieuse de se simplifier la vie en économisant l’argent public. Question anodine de votre servante :

- On voit de moins en moins d’enfants sauter une classe, ou entrer plus tôt à l’école et poursuivre leur cursus avec cette avance. Pourtant, cette souplesse avait l’avantage de tenir compte des écarts de développement des enfants, et de compenser le coût des redoublements, non ?

Réponse, un tantinet indignée, de l’éminent IA-IPR :

- Les élèves qui doublent (sic. Il ne faut stigmatiser personne…) sont le reflet d’autre chose que des résultats scolaire. Et c’est la même chose pour ceux qui sautaient une classe. C’est pour cela qu’on évite aujourd’hui ce genre de chose. C’étaient souvent des enfants de milieu favorisé, que les parents poussaient. Nous, nous croyons aux bienfaits de la mixité sociale.

A partir de ce stade, la conversation prend un tour un peu curieux, quelque chose comme une immersion dans les cauchemars de Franz Kafka.

- Mais je ne comprends pas. Si votre élève un peu plus rapide saute une classe, il se retrouvera au niveau supérieur, où il aura autant de camarades de milieu défavorisé.

- Non. Vous comprenez, dans l’école de la République, malheureusement, vous avez des différences qui sont souvent le fait de différences sociales. C’est contre cela qu’il faut lutter.

L’individu qui croit encore qu’il se situe dans l’ordre du débat argumenté appuyé sur une forme quelconque de rationalité prouve par là-même qu’il ignore tout de l’Education nationale, de ses concepts et de son vocabulaire. Pris par surprise, il se débat tel un malheureux prisonnier des sables mouvants, mais peu à peu, la rhétorique si bien rôdée l’englue, l’absorbe et le digère.

- Mais enfin, que tous les enfants n’aient pas le même âge dans une classe ne change rien à la mixité sociale. Il s’agit juste de tenir compte de la spécificité, du rythme, de chaque enfant.

- Vous ne comprenez pas. Si vous appliquez ce modèle sur l’ensemble de la scolarité, vous créez un système élitiste, une école à deux vitesses.

- Mais pas du tout ! On évite juste que des petits s’ennuient à l’école ! Et puis, pourquoi les enfants qui ont des facilités à la maternelle ou au CP seraient-ils forcément des gosses de riches. Il y a des gamins de milieu défavorisé qui sont très vifs, très éveillés.

Là, vous atteignez le point aveugle de l’idéologie égalitaire, ce trou noir qu’il ne faut surtout pas explorer, car ce qu’on y trouverait serait teinté de mépris de classe et de déterminisme forcené. Les pauvres ne peuvent pas réussir à l’école, ni s’approprier une culture humaniste exigeante. Les pauvres sont condamnés à l’échec, sauf si l’on efface cet échec par un tour de passe-passe, et que l’on supprime cette culture qui ne saurait leur appartenir. Mais puisque tout cela est fort peu reluisant, changeons de sujet :

- De toute façon, avec l’organisation en cycles, nous avons rompu avec ce système des années d’avance. Les enfants ne progressent plus de classe en classe, mais de cycle en cycle ; et vous n’allez pas leur faire sauter tout un cycle.

- Donc on organise dès le départ la cohabitation d’enfants qui n’ont ni les mêmes acquis, ni les mêmes besoins.

- Mais le professeur répond à chacun par une pédagogie différenciée.

Ô merveille de ces quelques phrases qui résument si bien la subtile philosophie de ceux qui ont charge de nos enfants : l’élitisme, c’est Mal. La mixité, c’est Bien. Et par la magie de la « pédagogie différenciée » et des « cycles d’enseignement », une administration folle verrouille le système pour qu’aucune tête ne dépasse. « Souligner avec amertume et désespoir l'absurdité du monde » : ainsi Pierre Desproges définissait-il l’humour anglais ; et sans doute y aurait-il comme une quintessence de l’humour anglais chez cet inspecteur, s’il n’était parfaitement sérieux. Il nous prouve que l’Education nationale s’est fait une spécialité de l’absurdité. Elle nous laisse l’amertume et le désespoir.

Source : Le Figaro

 


 

Philippe Nemo: Une trop longue erreur !!

Jean-Pierre Raffarin a installé hier la commission d'une quarantaine de personnalités qui pilotera le «débat national sur l'école» dont l'ambition est de déboucher sur une révision de la loi d'orientation de 1989, socle du système éducatif actuel. L'éducation va ainsi occuper le devant de la scène jusqu'en 2004, date à laquelle le gouvernement entend faire voter une nouvelle loi d'orientation «pour les quinze ans à venir», selon le ministre Luc Ferry. Nous publions ci-dessous deux contributions au débat.

Il est urgent de comprendre que les crises successives de l'Éducation nationale ne sont pas des phénomènes ponctuels, mais sont le résultat d'une même erreur initiale dans la politique scolaire du pays commise il y a plus de quarante ans et jamais corrigée depuis. Après y avoir longtemps réfléchi[1], je pense pouvoir retracer ce qui s'est réellement passé pendant ce presque demi-siècle. La tragédie s'est nouée en trois actes.

Acte 1. Au lendemain de la guerre, en 1947, les communistes Langevin et Wallon proposèrent de réaliser en France l'école unique, creuset de l'homme nouveau socialiste. Repoussé par deux fois à la Chambre sous la IVe République, ce projet fut mis en œuvre, paradoxalement, par De Gaulle au début de la Ve.

On unifia le système scolaire, jusque-là divisé en trois grands secteurs plus ou moins indépendants, le primaire, le secondaire et le technique. On supprima les classes primaires des lycées, les classes secondaires du primaire (les «cours complémentaires») et, peu à peu, on homogénéisa les programmes de façon à supprimer les filières.

Le « collège unique », faussement attribué à l'initiative de M. Haby, ne fut que l'étape finale de ce processus, qui était programmé dès 1958. L'Éducation nationale devint alors un monstrueux système bureaucratique, et ses syndicats montèrent en puissance à mesure qu'augmenta, dans un système administratif unifié, leur pouvoir de nuire. Dès cette date, l'Éducation ne fut plus nationale. Elle fut, de jure, cogérée par le ministère et les syndicats. De facto, elle fut gérée par les syndicats seuls, car les ministres passaient (et souvent sautaient), alors que les syndicats restaient. Je dis bien que l'Éducation « nationale » usurpe désormais ce qualificatif, car la nation, qui n'a d'autre organe d'expression que le suffrage universel, et d'autres représentants légitimes que le Parlement et le Gouvernement, n'eut plus jamais, de ce jour, son mot à dire dans la politique éducative du pays.

Acte II. Pourtant, aussitôt mise en place, l'école unique se révéla produire l'inverse de l'effet recherché. Au lieu de résorber les inégalités scolaires, on s'aperçut qu'elle les exacerbait. On découvrit en effet, dès le début des années 1960 que, quand on place dans une même école et devant un même professeur les 20% d'élèves qui allaient auparavant au lycée et les 80% qui allaient à l'école communale et dans les cours complémentaires, c'étaient toujours les premiers nommés, c'est-à-dire les enfants des milieux « privilégiés », qui réussissaient. Le résultat réellement produit par un cours ne dépend pas en effet seulement du cours lui-même, mais aussi des structures mentales des élèves qui le reçoivent.

Pour suivre l'enseignement secondaire classique, qui, même élémentaire, est déjà par nature scientifique, il faut, dès l'entrée en 6e à l'âge de 10 ans, avoir atteint ce que les psychologues de l'intelligence comme Jean Piaget appelle le stade de la pensée « abstraite » et « désintéressée ». Or ce stade n'est atteint à l'âge de l'entrée en 6e que par les enfants vivant dans un milieu familial où leur intelligence abstraite est activement stimulée, c'est-à-dire dans les milieux « bourgeois ».

Dans ces conditions, l'école unique conduisait à une double catastrophe. Non seulement c'étaient encore les fils de polytechniciens qui devenaient polytechniciens, donc l'école unique ne changeait rien en pratique. Mais, ce qui était pire, ce privilège devenait légitime, puisque tous les enfants, désormais scolarisés dans une même école, étaient censés avoir eu les mêmes chances.

Constatant cet échec, le gouvernement gaulliste aurait pu renoncer à l'école unique et revenir à l'école méritocratique de Jules Ferry, qui avançait plus lentement, mais plus sûrement, vers la « démocratisation » souhaitée par tous. Mais cette correction de trajectoire ne pouvait pas être acceptée par les syndicats qui, grâce à la tourmente de 1968, imposèrent leurs propres solutions. Celles-ci consistaient en une fuite en avant. Puisque l'« alignement vers le haut » du plan Langevin-Wallon ne fonctionnait pas, on procéderait à un « alignement par le bas ». En un mot, on primariserait le secondaire. Cela tombait bien: la majorité des professeurs du secondaire de l'époque étaient d'anciens instituteurs.

C'est à partir de cette date que l'Éducation dite nationale commença à détruire purement et simplement l'enseignement secondaire français traditionnel. Rejetant une tradition éprouvée, on donna carte blanche aux «pédagogues». On décréta le caractère oppressif des savoirs. On refondit tous les programmes dans le sens du flou, de l'incohérence et de l'appauvrissement. On rendit impossible la structuration de l'esprit en cassant net, au nom de la spontanéité des « apprenants », le processus d'acquisition méthodique des savoirs.

L'affaire se compliqua par le fait que les réformateurs, menés par la FEN et le SGEN, ne purent, malgré tous leurs efforts, imposer l'intégralité de leurs réformes. La logique de celles-ci aurait été de supprimer jusqu'à la notion même de programme, donc la structuration des collèges et lycées en classes annuelles successives, donc aussi toute hiérarchie entre catégories d'enseignants. Or le SNES communiste veillait aux intérêts corporatifs des professeurs agrégés et certifiés. Il combattit les « pédagos » autant qu'il le put. Il en résulta une situation bloquée, provoquant un lent pourrissement. Il n'y eut plus, bientôt, de véritable programme national.

Acte III. Dans les décennies 1960 et 1970, l'école avait subrepticement changé de fonction sociale: elle était devenue peu à peu une simple garderie de la jeunesse. Et c'est parce qu'elle jouait passablement bien ce nouveau rôle qu'on l'a dédouana de ne plus jouer correctement son rôle d'éducation et d'instruction.

Il y eut des raisons sociologiques profondes, tant structurelles et conjoncturelles, à cette transformation insensible de l'école. D'abord, le travail des femmes s'était généralisé; or les femmes ne peuvent quitter la maison si les enfants ne sont pas gardés à l'extérieur. Ensuite, à partir du début des années 1970, le chômage de masse s'était développé en Europe, et l'on avait réagi à cette pression exercée contre l'emploi en diminuant la durée du travail, soit celle du travail hebdomadaire, soit celle de la vie de travail, ce dernier facteur se décomposant à son tour en abaissement de l'âge de la retraite et en retardement de l'entrée sur le marché de l'emploi. C'est ainsi que la durée moyenne de scolarisation doubla, passant de neuf ans aux lendemains de la guerre à plus de dix-huit ans aujourd'hui. Pendant la même période, les dépenses scolaires décuplaient en francs constants. Ainsi les jeunes étaient-ils gardés entre quatre murs au lieu d'entrer sur le marché du travail et d'y faire baisser les salaires, ou, pire, d'envahir la rue.

Inutile de dire que le niveau scolaire de la nation, dans le même temps, ne décupla ni ne doubla, à supposer qu'il ait augmenté un peu ou même n'ait pas régressé. Par conséquent, si l'on évalue l'output de l'institution scolaire en termes de niveau, on peut dire que la productivité marginale de chaque franc supplémentaire dépensé pour l'école, ou de chaque heure supplémentaire passée à l'école, a tendu vers zéro ou même est devenue négative. Pourquoi la société ne s'est-elle pas révoltée contre ce scandaleux gâchis? La réponse est claire: c'est que l'investissement public fut réellement productif si l'on prend pour critère non le niveau scolaire, mais la capacité à garder efficacement la jeunesse. L'argent dépensé a réellement servi à construire des écoles et à payer des gardiens.

La preuve que la fonction sociale réelle de l'école est désormais celle d'une garderie est que c'est aux manquements de cette seule fonction que des « signaux sociaux » s'allument. On ne voit jamais les parents défiler dans la rue si le professeur de français fait une faute d'orthographe par ligne, ou si le professeur de mathématiques se perd dans ses équations (ce qui est courant aujourd'hui). En revanche si, un seul matin, un gardien, absent, pour quelque raison que ce soit, manque devant une classe, ou si les professeurs sont en grève, ou si l'on menace de fermer une classe dans une agglomération qui se dépeuple, tous événements qui empêchent les parents d'aller travailler en paix, c'est alors que la société réagit brutalement et que l'institution scolaire est sommée de se justifier. A midi, les parents occupent l'école. Le recteur doit s'expliquer l'après-midi devant la télévision régionale, et le ministre au journal de 20h.

On a là l'explication, navrante mais objectivement vraie, du fait stupéfiant que les grands acteurs sociaux n'aient rien fait pour corriger la dérive mortelle de notre système éducatif depuis que son échec est devenu patent. Les associations de parents d'élèves n'ont eu en vue, par définition, que la fonction de garderie. Les syndicats d'enseignants n'ont eu en vue que l'augmentation continue des postes rendue possible par l'aubaine d'une inflation scolaire indéfinie (et de toute façon, ils ne peuvent critiquer leur œuvre). Quant aux politiques, ils se sont platement alignés sur les préoccupations immédiates de la masse de leurs électeurs, en sacrifiant, comme c'est devenu habituel dans nos démocraties médiatiques, les intérêts à long terme du pays.

Le problème est que la France, si elle en reste à la situation actuelle de son système éducatif, va subir la plus effroyable décadence de son histoire: la perte de son statut de grand pays scientifique et technologique. Et je ne vois pas très bien comment on peut espérer faire fonctionner une démocratie digne de ce nom, et en général toutes les institutions, organisations et entreprises d'un pays moderne, dans une société où progressent illettrisme, ignorance et obscurantisme.

Je suis persuadé qu'il n'y a de solution au problème scolaire de notre pays que par la remise en cause radicale de l'option communisante du plan Langevin-Wallon prise et absurdement conservée depuis quarante ans. Il faut un pluralisme scolaire, tant à l'intérieur du système public que par le développement d'un nouveau secteur privé. Il faut qu'on puisse créer librement des écoles et des réseaux d'écoles, et qu'il y ait une émulation entre ceux-ci, seul processus qui sera de nature à créer une spirale vertueuse et à engendrer un vigoureux renouvellement. Quel homme politique aura le courage de faire un pas dans le sens de cette libération?

1) Pourquoi ont-ils tué Jules Ferry?, Grasset, 1991; Le Chaos pédagogique, Albin Michel, 1993. «La fonction de garderie de l'école: une explication de la dégradation de sa fonction pédagogique», in École et société. Les paradoxes de la démocratie, par Raymond Boudon, Nathalie Bulle et Mohamed Cherkaoui, PUF, 2001. 

Source: Le Figaro via Catallaxia 

 


avril 16, 2022

Les Socialopithèques !

Ce site n'est plus sur FB (blacklisté sans motif), 

 


Ce socialisme adoubé d'un extrême à l'autre

Rappelez vous pour certains il y a déjà 15 ans mentionné sur mes blogs, la création d'un genre et ses espèces.
 
Le Socialopithèque !!
 
Il se décompose depuis l'ère industriel US: 
 
- Des Inertiopithèques: Précepte d'un ordre établi, conservatisme, traditions, un clivage de droite lui sera ordonné, espèce vieillissante ou l'inertie est omniprésente, républicain. Collectiviste & Étatiste
L'idolâtre un certain feue De Gaulle.
- Mouvance centriste, européiste, fédéraliste
 
- Des Égalopithèques: Précepte du mouvement/progrès par l'égalitarisme. Collectiviste & Étatiste
Une espèce qui aura phagocyté les premiers libéraux à la révolution de 89/93. Un clivage de gauche leurs seront attribués, du reste qu'ils se sont définis comme donnés. Ils se sont proprement accaparés les racines: sociales et progrès, ce qui leurs permettent de s'identifier socialistes comme progressistes. Ils empruntent le terme Égalité pour conditionner l'égalitarisme, le symbole Liberté par les libertés (pas qu'eux). Un mentor, Engels/Marx, puis en 81 un Dieu idolâtré encore: Mitterrand.
- Mouvance européiste, fédéraliste, mondialiste (ordre mondial), universaliste.
 
- Des Nationalopithèques: Précepte post-guerrier d'une nation, d'une patrie.
Une espèce autant situé sur tous les clivages. Définie soit populaire, soit populiste, tout deux représentent la "plèbe" !
Ils sont vilipendés par les deux espèces précédente ici par le mot extrême, extrémiste, voire xénophobe, raciste (une réalité pour certains d'entre eux).
Plusieurs mentors aussi différents selon: Staline, Lénine, Mao, Pol pot, Hitler, Castro, Chavez, Ché Guévara ....enfin ils sont nombreux.
Collectiviste & Hyper Étatiste
 
Des Libéralopithèques: Précepte étatique des libertés
Prône la liberté sans savoir la conjurer de l'État, du socialisme/collectivisme. Absolument pas libéral !
- Mouvance centriste, européiste, fédéraliste
 

 
 
 
 
 

juillet 08, 2015

ÉGALITARISME la pensée unique qui tient tête en socialie Vs ÉGALITÉ

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.


Sommaire:

A) Le délire égalitaire - par Jacques Garello - Aleps

B) Les "faites ce que je dis, pas ce que je fais" de l’État - Bertrand Nouel - IFRAP

C) Égalité de Wikiberal

D) 1984 d'Orwell n'était pas censé être un manuel de philosophie - Par Damien Theillier - la tribune.fr

 
 
A) Le délire égalitaire
 
Après le « rapport » Picketty, voici maintenant l’OCDE qui propose un classement sur les inégalités sociales, qui place la France en mauvaise position : le pays où les pauvres s’appauvrissent parce que les riches s’enrichissent.

Il est indispensable de voir de l’inégalité partout, les médias et la classe politique s’en régalent. En voici dans l’école, et c’est pourquoi il faut faire la réforme des collèges : « les fils d’ouvriers sont aujourd’hui pénalisés », a-t-on argumenté. En voilà dans le pouvoir d’achat : au lieu d’imposer l’austérité, dont seuls souffrent les ménages déshérités, il faut revenir à une redistribution plus généreuse et faire supporter les sacrifices à ceux qui ont les moyens. En voilà encore dans les relations entre hommes et femmes : pourquoi des écarts de salaires de cette importance, pourquoi des discriminations suivant le « genre », alors que le mariage et l’enfant doivent être pour tous ? En fait, l’égalitarisme est une excellente façon de lutter contre le système économique et contre la société injuste qu’il engendre. C’est aussi un prétexte pour procéder à des réformes de nature à déstructurer le pays, à détruire la famille, la justice, la propriété, l’enseignement.

Finalement, on comprend bien le savant équilibre que recherche le gouvernement : d’un côté, pour calmer les classes moyennes et Bruxelles, quelques réformes économiques de façade – la loi Macron est présentée comme une inflexion spectaculaire de la politique ; d’un autre côté, pour apaiser la gauche et les frondeurs, le sale travail de déstructuration. C’est Taubira et Vallaud Belkacem plus Macron et Valls.


Or l’égalitarisme est une fable tragique. C’est une fable puisque la mesure des inégalités est faite d’artifices. Picketty lui-même a battu sa coulpe et a reconnu les erreurs de sa magistrale démonstration. Les chiffres de l’OCDE ne sont pas significatifs quand ils comparent des choses qui ne sont pas comparables : ignorance du « coin fiscal » (écart entre nominal et net), des aides en nature (accès au logement, allocations diverses, etc.), de la structure des familles. Enfin, le projecteur braqué sur les inégalités oublie deux choses fondamentales.

La première est que ce n’est pas l’inégalité qui importe, mais la promotion. Il y aura toujours des riches et des pauvres, mais l’essentiel est de savoir quelles chances ont les pauvres de devenir riches ; que l’ascenseur social soit bloqué en France et que des millions de Français aient perdu l’espoir de vivre mieux, c’est plus important que de savoir s’il y a aujourd’hui des riches et des pauvres. Il n’y a plus chez nous l’équivalent du « rêve américain », cette puissante impulsion qui a poussé des millions d’étrangers (comme mes grands parents italiens) à émigrer vers la France. Une éducation qui travaille au nivellement par le bas, une fiscalité qui ruine ceux qui réussissent et épargnent, une redistribution qui subventionne l’absentéisme, la tricherie, et qui enracine le peuple dans l’assistanat : voilà de quoi créer de nouveaux pauvres. L’inégalité ne peut se déduire de mesures statiques.

La deuxième chose est que l’inégalité n’est pas a priori une tare. Hayek l’a fortement souligné (Le mirage de la justice sociale) : les riches sont souvent porteurs d’innovation, parce qu’ils peuvent se permettre d’explorer des voies hors de portée de la plupart des gens, Aux Etats Unis, les gens qui se sont enrichis sont des entrepreneurs, des créateurs : leur promotion vient des services rendus à la communauté. C’est ainsi que le capitalisme permet d’engendrer le progrès social : le profit prend son sens et sa légitimité parce qu’il crée de la richesse pour tous.

Mais il s’agit du vrai capitalisme, fondé sur la libre entreprise et le libre échange. Or en France c’est souvent l’argent public qui enrichit, chez nous règne le capitalisme de connivence, né de l’alliance du monde des affaires et de la classe politique, qui assure des rentes et privilèges injustifiés. Bastiat le disait : « Je ne crois pas que le monde ait tort d’honorer le riche ; son tort est d’honorer indistinctement le riche honnête homme et le riche fripon. » Chez nous les fripons sont nombreux, comme dans tout régime étatisé. L’égalitarisme se nourrit de cette tare. Ainsi naît l’idée que l’économie est un jeu à somme nulle, les uns ne gagnant qu’aux dépens de ceux qui perdent – une idée en phase avec la propagande marxiste qui sème la haine contre les possédants, les patrons et les actionnaires.
Notre devoir est de lutter contre cette propagande, de faire connaître la vérité sur les vraies et les fausses inégalités, d’éviter l’affrontement généralisé, d’arracher l’envie du cœur d’un peuple qui ne cesse de regarder dans « le jardin du voisin » (Fourastié en écho de Tocqueville). Je salue comme une première étape de cette croisade l’initiative de Bernard Zimmern et de son Institut qui tiendra à Paris prochainement un colloque sur « L’imposture Picketty : les riches sont-ils le problème ou la solution ? ». Politiquement corrects s’abstenir.

par Jacques Garello - Aleps

B) Les "faites ce que je dis, pas ce que je fais" de l’État

Dans la série « Faites ce que je dis, pas ce que je fais », l’État et la sphère publique en général ne sont jamais à court de nouveautés. Pourquoi se font-ils prendre la main dans le sac, si l’on ose dire, si régulièrement ? Parce que, particulièrement dans la règlementation du travail, ils ne se considèrent pas comme des employeurs ordinaires, à l’abri d’un statut spécifique, survivance d’un passé qui n’a pas de raison d’être. En tout cas, cette situation n’est alternativement ni du goût des salariés du secteur privé, ni de celui des salariés du secteur public. Une disparité de statut que rien ne justifie plus. Nous passons en revue les cas du CDD, des dividendes, du smic, de la pénibilité, du temps de travail, des 35 heures et de la gestion des RTT. Bien sûr, il y a d’autres exemples, que nos lecteurs pourront à loisir signaler.

Les CDD

D’utilisation sévèrement limitée pour le secteur privé, les CDD vont pouvoir être renouvelés deux fois en application de la future loi Macron. Mais attention ! la durée totale ne pourra toujours pas excéder les 18 mois déjà applicables. Le cadeau, si cadeau il y a, est donc fort limité. Mais chez les fonctionnaires, le CDD peut être conclu pour trois ans, renouvelable une fois. Six ans contre 18 mois…Et lorsque La Poste emploie des salariés dans les termes du droit commun, on ne compte pas les condamnations qui pleuvent sur l’établissement pour requalification des CDD en CDI.

Les distributions de dividendes

Le CICE, on le sait, doit être exclusivement utilisé par les entreprises pour certains objets délimités et surtout pas permettre de distribution de dividendes, encore moins lorsque l’entreprise supprime des postes. Nous avons souvent eu l’occasion de mentionner que l‘État fait tout le contraire dans les entreprises qu’il contrôle. Récemment, Michel Sapin a fait très fort. Interrogé par un média sur l’éventuelle remise en cause du CICE dans sa forme actuelle, et sur le fait notamment qu’en accorder le bénéfice à La Poste – encore elle – ne paraissait pas conforme à l’objectif que se proposait le gouvernement, le ministre s’est exclamé pour dire en substance que les suppressions de postes qu’a connus l’établissement auraient été bien plus importantes si La Poste n’avait pas bénéficié de ce crédit d’impôt. Les journalistes n’ont pas eu la présence d’esprit de lui rétorquer que depuis deux ans…le montant du CICE sert à distribuer des dividendes à l’État. Il fallait avoir le toupet (euphémisme) du ministre pour le dire !

Le smic et les rémunérations des fonctionnaires

Une fois de plus, les augmentations du smic mettent l’État dans l’embarras, car les rémunérations des fonctionnaires ne suivent pas, et ceux de ces fonctionnaires qui sont en catégorie C et B sont payés en-dessous du smic. Le smic ne leur est pas directement applicable, mais le statut des fonctionnaires prend soin de prévoir que les rémunérations publiques ne peuvent pas être inférieures à ce smic. Le secteur public verse donc aux fonctionnaires concernés une « indemnité différentielle » permettant d’atteindre la valeur du smic.

Mais l’État ne se conduit pas comme le secteur privé, qui fait évoluer les rémunérations supérieures au smic en conservant une échelle de salaires relativement progressive. 

L’écrasement des salaires publics est devenu un véritable scandale, relevé par exemple dès 2011 par l’Humanité : «  On peut donc parler d’une véritable « smicardisation » de la fonction publique. Avec le gel du point d’indice trois années de suite et la reprise de la hausse des prix, cette tendance risque de s’accélérer. Elle est déjà très spectaculaire. Les chiffres officiels montrent (voir le tableau) qu’un agent des services hospitaliers, par exemple, (catégorie C sans concours) qui débutait sa carrière à 115% du Smic en 1983, la commence aujourd’hui à 98% du Smic (avant l’octroi de l’indemnité différentielle). Une secrétaire dans une administration d’État (catégorie C, entrée sur concours) débutait en 1983 avec 123% du Smic. Elle commencerait au Smic aujourd’hui. Un technicien d’une collectivité territoriale (catégorie B) débutait à 133% du Smic en 1983. Sa rémunération de départ équivaudra aujourd’hui à 103% du Smic. Pour la catégorie A, celle des cadres ou des enseignants, la rémunération de départ de carrière, qui représentait 175% du Smic en 1983, n’en représente plus que 116% ».

Les choses ne se sont pas améliorées depuis 2011, au contraire. Et voici Marylise Lebranchu, la ministre de la Fonction publique, contrainte de relever le salaire en début de carrière… au prix d’accentuer encore l’écrasement des salaires en milieu de carrière (mais pas en fin de carrière puisqu'une revalorisation expresse vient de leur être accordée). Il est vrai que Jean-Claude Mailly (le patron de FO), plaide en ce moment pour que le smic atteigne 80% du salaire médian. Ses vœux sont donc en passe d’être exaucés. Sûrement pas ceux des fonctionnaires, ni de l’Humanité semble-t-il. Allons bon, c’est curieux, il y aurait des divergences de vue chez ceux qui se réclament d’un marxisme égalitaire ?

La pénibilité

On vient comme chacun sait d’instituer le « C3P », autrement dit le compte personnel de prévention de la pénibilité, que les entreprises dénoncent comme une coûteuse usine à gaz. Ici non plus la C3P n’est pas applicable chez les fonctionnaires, qui disposent déjà de dispositions concernant la retraite anticipée. Sauf que jamais la liste des métiers censée être établie par décret en Conseil d’État n’a été établie. Résultat, la règlementation est antédiluvienne et ne correspond pas aux métiers actuels. C’est un peu comme la prime d’escarbille chez les cheminots. En particulier, rien pour les agents hospitaliers. Aïe, ce n’est pas le sujet du moment à aborder à l’hôpital. Si l’on comprend bien, la question sera abordée pour les fonctionnaires par la ministre de la Fonction publique, cependant que pour le secteur privé le même sujet relève du ministre du Travail. Logique, non ?

Le temps de travail

Dans le secteur privé, les 35 heures ont fait l’objet d’intenses négociations au moment de leur mise en œuvre. Au moins les accords sont-ils respectés, et des négociations peuvent-elles être menées à bien en vue de leur amélioration comme on l’a vu chez Renault. Dans le secteur public, rappelons qu’à l’origine Lionel Jospin n’avait pas prévu d’appliquer les 35 heures, faute d’argent. Position qui n’a évidemment tenu que quelques semaines mais qui en dit long. L’État les a donc appliquées, mais il a fait n’importe quoi, sous la pression des syndicats dont la gauche au pouvoir se devait d’accepter les revendications. Dans la fonction hospitalière, les salariés ont en effet obtenu jusqu’à 28 jours de RTT. Le résultat, longtemps mis sous le boisseau comme la poussière sous le tapis, se fait jour actuellement avec une désorganisation complète et un impossible redressement dont le désaveu apporté par la ministre de la Santé aux efforts tentés par Martin Hirsch en est la lamentable traduction. Des RTT qui s’accumulent sans pouvoir être utilisés ni payés. S’y ajoute encore un absentéisme record. La situation est encore pire dans les collectivités locales, où les 35 heures elles-mêmes ne sont qu’un rêve, avec une durée de travail ridicule, à laquelle s’ajoute un absentéisme record : laxisme généralisé et aucune surveillance de la part des employeurs publics.


Conclusion

Il y a quand même dans cette histoire une morale qui n’est pas difficile à deviner. L’État se conduit en ignorant les règles qu’il demande au secteur privé d’appliquer ; c’est désastreux pour sa crédibilité et son autorité. Et cette mauvaise conduite est souvent masquée par la spécificité du statut qu’il s’applique. C’est contre cette spécificité qu’il faut lutter. Dans chacun des exemples que nous avons pris, quelle justification y a-t-il d’établir des règles différentes pour le secteur public et le secteur privé ? Aucune.

Commençons par unifier le statut des salariés du public et ceux du privé – en clair, supprimer le statut de la fonction publique -, et nous aurons déjà une base plus solide pour que l’État respecte une règlementation devenue unique. Plus fondamentalement, entre les entreprises et les établissements tant publics que privés, il peut y avoir des différences tenant à l’existence éventuelle d’une mission de service public, étant entendu qu’une entreprise privée peut être investie d’une telle mission et que c’est d’ailleurs le cas bien souvent en vertu d’un droit administratif qui a plusieurs siècles d’existence en France. Mais il n’y a plus, depuis longtemps, aucune raison pour que de cette mission découle un statut spécifique applicable aux agents et salariés qui sont amenés à la remplir, qu’il s’agisse d’entreprises, d’établissements de l’État ou d’entreprises du secteur privé investies de délégations de service public.

Bertrand Nouel
IFRAP


C) Égalité

L'égalité du point de vue du libéralisme est l'affirmation que tous les individus sont égaux en droit (principe d’isonomie). Le droit dont il est question ici est le droit naturel, et non l'ensemble des « faux droits » octroyés par l'État, qui précisément favorisent les uns aux dépens des autres, et donc accroissent les inégalités. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits (article premier de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789). Pour un libéral, toute distinction fondée sur la naissance (Ancien régime, société de castes, société raciste), le présumé « intérêt général » (collectivisme), l'intérêt de quelques-uns (oligarchie), ou la « tyrannie de la majorité » (démocratie) aboutit à l'injustice et au mépris des droits de l'individu. On obtient donc une définition négative de l'égalité : chaque individu a un droit égal à ne pas être agressé dans sa liberté ni dans sa propriété.
La définition de l'égalité rejoint celle de la justice : rendre à chacun ce qui lui est dû (suum cuique tribuere, selon le vieux principe du droit romain). C'est ce qui distingue l'égalité de l'égalitarisme : l'égalité tient compte de la nature de chacun, c'est aussi un « droit à la différence » et un respect de l'autre, alors que l'égalitarisme tend à nier toute différence (physique, intellectuelle, économique). Comme Friedrich Hayek l'a bien expliqué:
Alors que l'égalité des droits dans un gouvernement limité est possible en même temps qu'elle est la condition de la liberté individuelle, la revendication d'une égalité matérielle des situations ne peut être satisfaite que par un système politique à pouvoirs totalitaires.
Ainsi, ce que le collectivisme ou la social-démocratie entendent par « égalité » sociale, c'est une « justice » distributive, l'égalité économique, l'égalitarisme, sous divers prétextes (partage des fruits du travail, solidarité, cohésion sociale, etc.). L'idéal visé, plus ou moins avoué, est celui de l'égalité économique parfaite, selon le principe communiste apparemment généreux de « à chacun selon ses besoins », principe qui, outre son caractère immoral et coercitif, fait totalement fi de la réalité de la vie humaine, qui est celle d'un monde de rareté, dans lequel seuls le travail, l'épargne, l'investissement, l'action, peuvent créer des biens.

Égalité des chances

Cette expression, typiquement française (même si elle rappelle l'equal opportunity anglo-saxonne), est pernicieuse. Désigne-t-elle l'égalité en droit, exigence libérale, ou bien un droit à bénéficier des bienfaits de l'État-providence redistributeur ? Dans cette dernière acception, on tend à développer l'assistanat et à récuser la liberté et la responsabilité des individus :
De fil en aiguille, on en est finalement venu à l'égalité des conditions, à l'égalité des résultats, quelles que soient les actions individuelles, quels que soient les mérites ou les vices de chacun. La chance porte un nom nouveau : l'État Providence. L'égalité des chances, c'est l'égalité devant les bienfaits de la société. Dans cette logique, l'échec n'est pas admissible, l'inégalité est scandaleuse. Aujourd'hui l'égalité des chances est une forme d'envie (avoir tout ce qu'ont les autres), une forme d'incurie (avoir tout sans rien devoir à personne, faire n'importe quoi), une forme de folie vengeresse (« les ratés ne vous rateront pas », disait Céline). (Jacques Garello)
La plupart des libéraux rejettent la notion d'égalité des chances, car elle est intrusive et coercitive. Certains libéraux de gauche, tels John Rawls, soutiennent cependant que "personne ne mérite ses capacités naturelles supérieures ni un point de départ plus favorable dans la société" et voient comme injuste la répartition inégale des talents. Les structures d'une société juste devraient faire en sorte d'atténuer au maximum les différences. Ainsi Rawls ajoute au principe d'égale liberté pour tous ("chaque personne doit avoir un droit égal à la plus grande liberté fondamentale avec une liberté semblable pour tous") un second principe ainsi défini :
Les inégalités sociales et économiques doivent être arrangées de telles sortes qu'elles soient :
- liées à des emplois et à des postes, accessibles à tous, dans des conditions d'égalité impartiale des chances (principe d'égalité des chances) ;
- pour le plus grand profit des plus désavantagés (principe de différence).
Pour la plupart des libéraux (tel Nozick qui critique les conceptions de Rawls) le "droit" à l'égalité des chances n'en est pas un, puisqu'il doit respecter le droit de propriété avant de s'appliquer. Le "principe de différence" de Rawls permet de justifier les mesures les plus coercitives : revenu maximum (Rawls affirme qu'il y a "un gain maximum autorisé pour les plus favorisés"), redistribution par l'impôt (possible théoriquement jusqu’à ce qu’elle ait tellement d’effets désincitatifs que les plus favorisés produiraient beaucoup moins, et ce aux dépens des individus les plus désavantagés), etc. Bien que Rawls se défende d'être utilitariste, sa théorie a un défaut majeur, qui est l’hypothèse de comparabilité des préférences individuelles. L'idée que la répartition inégale des talents puisse être injuste et doive être "corrigée" mène directement à l'égalitarisme et au totalitarisme


Erreur courante : égalité et égalitarisme

La critique la plus courante, venant le plus souvent de la gauche (encore qu'elle existe aussi à droite), est que le libéralisme aurait une notion restrictive de l'égalité : en effet, il n'envisage que l'égalité en droit et non l'égalité matérielle. Les inégalités économiques que l'on peut constater entre les individus ne le touchent pas : loin de les condamner, il les conforterait. Il mènerait donc au conservatisme le plus rétrograde.
La réponse à cette objection est que l'égalité en droit a un sens, alors que l'égalité matérielle ou économique n'en a absolument aucun, à moins que tous les hommes soient absolument identiques, interchangeables et "bâtis" sur le même modèle, ce qui n'est pas le cas. Dès lors que les hommes sont différents, il est impossible de réaliser l'égalité matérielle ou économique, car les capacités de chacun, les aspirations, les besoins, sont différents. L'égalitarisme n'est pas autre chose qu'une révolte contre la nature : il est "injuste" qu'un autre soit plus beau, plus grand, plus jeune, plus intelligent ou plus riche que moi. Le droit à la différence est vu comme un faux droit. C'est la nature qui est jugée injuste, et la société des hommes devrait réparer toute "injustice", si besoin (et il est impossible que ce soit autrement) par la coercition et la violence. [1]
Une société égalitariste se détruirait elle-même par sa recherche pathologique du nivellement par le bas. L'expérience historique montre qu'en réalité elle réintroduit des inégalités non pas sur la base des capacités, aspirations et mérites différents (comme c'est le cas dans la société libérale idéale) mais sur des bases politiques d'allégeance à un leader ou au parti au pouvoir, illustration de l'anomie conduisant à la loi du plus fort.
Ceux qui croient aux vertus de l'égalitarisme, plutôt que de chercher à asservir ceux qui n'y croient pas, devraient faire la preuve par l'exemple, en créant des communautés pratiquant l'égalité matérielle la plus complète (la famille n'est-elle pas une communauté de ce type ?). Comme le dit Christian Michel :
Le communisme est un bel idéal. Que les communistes s'organisent dans leurs communes et phalanstères, qu'ils affichent leur bonheur d'y vivre, et ils seront rejoints par des millions et des milliards de gens. (...) Ce qu'il faut combattre n'est pas le communisme, ni aucune autre idéologie, mais la traduction politique de cette idéologie.
Malheureusement, l'égalitarisme n'est le plus souvent pas autre chose qu'une traduction idéologique de la jalousie sociale : l'égalitariste, qu'il soit libertaire, communiste ou socialiste, veut seulement prendre aux plus riches que lui. Il n'est pas question pour lui de partager avec ceux qui sont plus pauvres que lui : c'est de la solidarité à sens unique.
Quant au prétendu conservatisme que le libéralisme entérinerait en ne remettant pas en cause les positions sociales, il n'existe pas, en réalité. Le libéralisme dénie toute légitimité à toute position sociale qui serait contraire aux droits des individus. Loin d'être conservateur, le libéralisme (plus particulièrement le libertarisme) est révolutionnaire car il entend souligner les injustices et y porter remède. Il reconnaît qu'il existe bel et bien une lutte des classes entre les dominants et les opprimés, entre ceux, étatistes, politiciens, qui violent perpétuellement le principe de non-agression en imposant l'arbitraire étatique par l'impôt et la loi, et ceux qui sont victimes de cette forme d'esclavage. Les inégalités existent bien : l'ennemi n'est pas le riche ou le capitaliste (du moins, tant qu'ils se limitent à pratiquer l'échange libre dans le respect du droit d'autrui), c'est celui qui me vole (qui prend ma propriété sans mon consentement) ou qui m'impose injustement sa volonté (qui attente à ma liberté). On retrouve l'exigence d'égalité libérale : l'obligation de respecter le droit de chacun, sa liberté et sa propriété. 


Citations

  • « Je pense que les peuples démocratiques ont un goût naturel pour la liberté ; livrés à eux-mêmes, ils la cherchent, ils l’aiment, et ils ne voient qu’avec douleur qu’on les en écarte. Mais ils ont pour l’égalité une passion ardente, insatiable, éternelle, invincible ; ils veulent l’égalité dans la liberté, et, s’ils ne peuvent l’obtenir, ils la veulent encore dans l’esclavage. Ils souffriront la pauvreté, l’asservissement, la barbarie, mais ils ne souffriront pas l’aristocratie. »
(Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique)[2]
  • « Il y a toutes les différences du monde entre traiter les gens de manière égale et tenter de les rendre égaux. La première est une condition pour une société libre alors que la seconde n'est qu'une nouvelle forme de servitude. »
(Friedrich August von Hayek, Vrai et faux individualisme)
  • « L’égalité proclamée dans la déclaration des droits de l’homme de 1789, est une égalité de condition sociale qui rend possible une justice équitable. La loi est la même pour tous, c’est ce que ça veut dire. L'État idéologique a transformé cette égalité de droit en égalité de moyen, ce sont les clauses de moyens introduites dans la déclaration des droits de l’homme des constitutions de 1946 et 1958. L’Egalité n’est plus seulement la promesse que la justice ne tiendra pas compte du statut social des personnes comme sous la monarchie, mais qu’elle devient aussi une égalité matérielle des conditions. C’est mettre à mort l’équité dont le premier principe est " à chacun selon ses mérites " pour produire un principe contraire, le principe égalitaire qui est " ce qui est juste, c’est ce qui est égal ".  »
(Claude Lamirand – 7 Décembre 2004)
  • « La justice s’applique à la conduite des individus, pas aux conséquences économiques de leurs actions. Elle est affaire de règles, pas de résultat. Dans une société libre, c’est seulement les décisions des acteurs que nous avons le droit de juger. Si un avantage est acquis par la tromperie ou la violation d’une loi justement applicable à tous, nous le déclarons injuste. Mais si quelqu’un n’a bénéficié d’aucune entorse pour obtenir le même avantage, il n’y a aucune raison d’être critique à son égard. Lorsque tu participes à un jeu, tu ne demandes pas à l’arbitre de déclarer vainqueur le joueur le plus méritant. Il importe seulement que la partie soit jouée loyalement, que les règles soient respectées. »
(Christian Michel)
  • « L'inégalité des revenus et des fortunes est un caractère inhérent de l'économie de marché. Son élimination détruirait complètement l'économie de marché. Les gens qui réclament l'égalité ont toujours à l'esprit un accroissement de leur propre pouvoir de consommation. Personne, en adoptant le principe d'égalité comme postulat politique, ne souhaite partager son propre revenu avec ceux qui en ont moins. Lorsque le salarié américain parle d'égalité, il veut dire que les dividendes des actionnaires devraient lui être attribués. Il ne suggère pas une réduction de son propre revenu au profit des 95 % de la population mondiale qui gagnent moins que lui. »
(Ludwig von Mises, l'Action humaine)
  • « L'inégalité [véritable] consiste à s'enrichir par ses relations, à gagner sans rendre service, à extorquer sous la menace, à créer une classe privilégiée de décideurs non responsables sur leurs biens mais sur celui des autres. »
(Prégentil)
  • « À partir du moment où quelqu’un s’enrichit plus vite que vous, une inégalité surgit. Sauf à contrôler la vie de tout le monde, l’inégalité est le résultat, à un instant donné, d’un processus de développement qui est par nature dynamique. Comme la croissance repose sur la libération des énergies et des potentiels de chacun, il en découlera nécessairement des trajectoires de revenus différentes. »
(Jean-Louis Caccomo)
  • « Le libéral combat les inégalités vraiment injustes, c'est-à-dire celles qui profitent aux hommes politiques et aux fonctionnaires, et les inégalités qui résultent du vol ou de la coercition, qui sont souvent le fait de l'État, ou le fait que l'État ne fait pas son travail. Le socialiste, lui, recherche l'égalité de résultat, et c'est ainsi que dans ce pays tout est fait pour encourager celui qui ne veut rien faire, et tout est fait pour mettre des bâtons dans les roues à celui qui entreprend. C'est ainsi que l'Éducation Nationale, n'ayant pas réussi à uniformiser les résultats des élèves par le haut, s'est résigné à les uniformiser par le bas. »
(Jacques de Guenin)
  • « L'égalité la plus fondamentale entre les hommes est sans doute liée au fait qu'ils sont des êtres humains, et que par nature ils ont une dignité et une vocation que ne possède aucune autre espèce. (...) Cette égalité fondamentale et personnelle prend corps avec l'égalité des droits. Ce qui sépare une société barbare d'une société civilisée, c'est que des règles sociales sont établies et respectées pour garantir les droits individuels qui permettent à l'homme de vivre dignement. »
(Jacques Garello)
  • « L’égalité est un état artificiel qui demande à être constamment entretenu d’une manière artificielle. Les hommes ne sont pas égaux par définition. »
(Vladimir Boukovski)
  • « Les hommes n’étant pas dotés des mêmes capacités, s’ils sont libres, ils ne seront pas égaux, et s’ils sont égaux, c’est qu’ils ne sont pas libres. »
(Alexandre Soljenitsyne)
  • « La France a toujours cru que l’égalité consistait à trancher ce qui dépasse. »
(Jean Cocteau, Discours de réception à l’Académie française, 1955)
  • « Tous les êtres de toutes les Galaxies sont égaux devant la Grande Matrice, indépendamment de leur forme, du nombre de leurs écailles ou de leurs bras, et indépendamment même de l'état physique (solide, liquide ou gazeux) dans lequel il se trouve qu'ils vivent. » (humour)
(Umberto Eco)



D) 1984 d'Orwell n'était pas censé être un manuel de philosophie



Le libéralisme classique ne se confond ni avec l'hédonisme, ni avec une indifférence à l'égard du bien ou du mal et encore moins avec le socialisme. Par Damien Theillier, professeur de philosophie et président de l'Institut Coppet 
 
Rappelez-vous les trois slogans qui régissent la dictature orwellienne :

La guerre, c'est la paix.
La liberté, c'est l'esclavage.
L'ignorance, c'est la force.
Guillaume Bernard, maître de conférences à l'ICES, vient d'en inventer un quatrième :
« Le libéralisme, c'est le socialisme » !
Comment peut-on arriver à confondre la liberté et la folle idéologie qui réglemente nos vies jusqu'aux plus petits détails ? 

Notre maître de conférence a réussi ce tour de force dans un article paru dans Valeurs Actuelles fin mai 2015, intitulé Malentendus courants sur le libéralisme. Tout part d'une équation par amalgame: le libéralisme serait une philosophie libertaire hédoniste et relativiste... ce que serait également le socialisme.
De là, le libéralisme, c'est le socialisme.

Un malentendu sur le libéralisme

L'auteur entretient un malentendu sur le libéralisme, habituellement entendu à gauche : celui-ci postulerait ou fonderait ses arguments sur l'hypothèse d'individus égoïstes, matérialistes et auto suffisants, affranchis de toute norme morale, de toute espèce d'ancrage dans une réalité morale naturelle. Cette idée répandue dans le clergé, y compris au plus haut sommet de sa hiérarchie (comme le montre encore une fois la dernière encyclique du Pape François), est une idée fausse.

À l'encontre de cette caricature, le libéralisme classique ne se confond ni avec l'hédonisme, ni avec une indifférence à l'égard du bien ou du mal et encore moins avec le socialisme.


Une philosophie du pouvoir limité

La plupart des libéraux s'accordent avec la tradition occidentale issue de la philosophie grecque pour dire qu'il existe une rationalité morale et que le bien et le mal ne sont pas des notions arbitraires, relatives à l'opinion ou à l'époque. Ainsi le vol détruit le principe de la propriété, fondée sur le travail c'est-à-dire sur le libre exercice de nos facultés. 

Pour les libéraux, à la différence des socialistes, il existe donc un droit antérieur à la formation de l'État, un ensemble de principes généraux que la raison peut énoncer en étudiant la nature de l'homme.

Ce droit s'impose au pouvoir, qui doit dès lors le respecter. Les lois édictées par l'autorité politique n'ont force obligatoire que selon leur conformité au droit naturel. Et si les citoyens possèdent par nature certains droits fondamentaux, ces droits ne peuvent être ni octroyés, ni supprimés par la loi.

Le libéralisme, pas une théorie morale complète

Mais le libéralisme, contrairement au socialisme, n'a jamais eu la prétention d'être une théorie morale complète, ni une philosophie de la vie ou du bonheur. Guillaume Bernard se trompe en affirmant que « le libéralisme est un tout », c'est-à-dire une sagesse globale. Il est seulement une théorie politique, incluant une morale politique, qui traite du rôle de la violence et des limites du pouvoir. Puisque les hommes ont des penchants criminels (ce qui rejoint l'idée chrétienne de péché), il faut les empêcher de nuire. Mais il est également nécessaire de limiter le pouvoir et d'empêcher la tyrannie. Si tous les hommes étaient bons, l'État serait superflu. Mais si, à l'inverse, comme le reconnaissent les libéraux et les conservateurs, les hommes sont souvent malveillants, alors on doit supposer que les agents de l'État eux-mêmes, qui détiennent le monopole de la violence, constituent une menace potentielle. C'est Locke contre Hobbes, Constant contre Rousseau.

Par conséquent, ce qu'un individu n'a pas le droit de faire : voler, menacer, tuer, un État n'a pas le droit non plus de le faire. Si le fait de spolier autrui est immoral pour un individu, cela vaut également pour ceux qui exercent l'autorité politique. Les libéraux pensent que le commandement biblique « Tu ne voleras pas » s'applique à tous sans exception. Il s'agit d'une éthique universelle qui s'applique également aux institutions sociales. Un vol reste un vol, même s'il est légal.

L'individu, seul agent moral

Il faut également entendre la défense libérale de l'individu en ce sens que celui-ci est le seul agent moral. Les notions de bien et de mal moral, de droits et de devoirs n'ont de sens que pour des personnes singulières, non pour des collectivités abstraites. Seul l'individu humain agit, pense, choisit, seul il est sujet de droit. Ainsi parler de « droits des homosexuels » n'a pas de sens, pas plus que de parler de « droits des catholiques ». L'égalité des droits ne peut être fondée que sur l'appartenance à l'espèce humaine et non sur l'appartenance à une communauté ou à un groupe collectif.

Enfin et surtout, il n'est pas possible de comprendre l'essence de la philosophie politique libérale, si on ne comprend pas qu'elle a toujours été historiquement définie par une rébellion authentique contre l'immoralité de la violence étatique, contre l'injustice de la spoliation légale et du monopole éducatif ou culturel.

Une anthropologie réaliste
Mais ce qui différencie les libéraux des utopistes c'est qu'ils n'ont pas pour but de remodeler la nature humaine. Le libéralisme est une philosophie politique qui affirme que, en vertu de la nature humaine, un système politique à la fois moral et efficace ne peut être fondé que sur la liberté et la responsabilité. Une société libre, ne mettant pas de moyens légaux à disposition des hommes pour commettre des exactions, décourage les tendances criminelles de la nature humaine et encourage les échanges pacifiques et volontaires. La liberté et l'économie de marché découragent le racket et encourage les bénéfices mutuels des échanges volontaires, qu'ils soient économiques, sociaux ou culturels.

Quiconque a lu un peu les libéraux, anciens ou modernes, Turgot, Say, Bastiat, Mises ou Hayek, sait en effet, que pour eux 1° l'intérêt personnel ne peut se déployer librement que dans les limites de la justice naturelle et 2° le droit ne se décide pas en vertu d'un contrat, mais se découvre dans la nature même de l'homme, animal social, doué de raison et de volonté. On est alors très loin de la caricature donnée par l'article de Guillaume Bernard.

Les entrepreneurs anticipent les besoins des consommateurs

Les libéraux, il est vrai, accordent à l'intérêt une large place dans le développement de ce monde. Mais ils voient en lui le plus puissant et le plus efficace des stimulants lorsqu'il est contenu par la justice et la responsabilité personnelle. Le fait que les entrepreneurs soient avant tout guidés par leur intérêt, loin de conduire à l'anarchie, permet de canaliser les intérêts. Cela les oblige à prendre en compte et à anticiper les besoins des consommateurs. Pour réussir il faut être à l'écoute des besoins de la société. 

En revanche, l'un des objectifs principaux des socialistes est de créer (en pratique par des méthodes violentes) un homme nouveau acquis au socialisme, un individu soumis dont la fin ultime serait de travailler au service du collectif. Pour les socialistes, en effet, les hommes ne sont que des matériaux inertes qui ne portent en eux ni principe d'action, ni moyen de discernement.

Partant de là, il y aura entre le législateur et l'humanité le même rapport qu'entre le potier et l'argile. La loi devra façonner les hommes en fonction d'une idéologie imposée d'en haut. Comme le dit bien Jean-Paul II, « Là où l'intérêt individuel est supprimé par la violence, il est remplacé par un système écrasant de contrôle bureaucratique qui tarit les sources de l'initiative et de la créativité. » (Jean-Paul II, Centesimus Annus, 1991).

De fait il y a beaucoup plus d'avidité et de cupidité dans le socialisme que dans le libéralisme. Dans une économie socialiste, il n'y a que deux moyens d'obtenir ce qu'on désire : le marché noir, ou la combine politique. Dans une économie de marché libre, la façon la plus efficace pour les personnes de poursuivre leur amour de la richesse est de servir les autres en proposant des biens utiles et à bon prix.


La propriété privée c'est la protection des plus faibles

La propriété est d'abord une condition nécessaire à ce que le philosophe Robert Nozick appelle « l'espace moral » de la personne. La nature morale de l'être humain exige que la liberté de choix soit protégée pour que chacun puisse exercer pleinement son jugement et ses responsabilités. Et cet objectif de protéger cet espace moral de choix individuel, est mieux servi par une société de libre marché, qui respecte la propriété. Notre tâche principale est d'agir de façon optimale, c'est-à-dire à réaliser notre nature humaine, aussi complètement que possible dans les circonstances de notre vie. Et seule une société libre, qui protège le droit de propriété, peut permettre d'atteindre cet objectif. 

La propriété est aussi ce qui permet un comportement « prudent » (au sens de la vertu morale) vis-à-vis du monde naturel et social. Enfin et surtout, elle bénéficie aux pauvres car elle leur permet d'utiliser leurs dons et leurs compétences dans un marché ouvert à la concurrence. 

Dans le christianisme, l'homme est appelé à servir les autres, spécialement les plus faibles. Or la meilleure façon, la plus productive et la plus juste, d'aider les pauvres est précisément la liberté pour chacun d'exercer la profession ou l'activité de son choix. Une société libre est une société dans laquelle chacun est libre d'utiliser les informations, même imparfaites, dont il dispose sur son environnement pour poursuivre ses propres fins.

Des possibilités très grandes de sortir de la pauvreté

Certes, dans une société libre, les revenus sont inégaux, mais les possibilités qu'ont les gens de se sortir de la pauvreté extrême sont très grandes parce qu'on peut gagner en servant les intérêts d'autrui et que la richesse des uns bénéficie, à terme, aux autres. Le libre marché est un formidable mécanisme naturel de redistribution des richesses car c'est un jeu à somme positive, l'échange est gagnant-gagnant quand il est consenti. 

Enfin, l'économie de marché libre est un système qui permet de ce fait à la philanthropie de s'exercer mieux que dans tout autre système. Chaque être humain a une obligation morale d'assistance à l'égard de ceux qui sont atteints par le malheur. Mais on ne donne que ce qui est à soi. C'est le respect du droit de propriété qui rend possible la charité.

L'égoïsme dans la nature humaine

En conclusion, l'égoïsme n'est pas dans le libéralisme, comme semble le croire Guillaume Bernard, il est dans la nature humaine. Le libéralisme explique seulement que l'intérêt personnel, canalisé par le droit, peut servir le bien commun de façon plus efficace et plus juste que la contrainte de la loi.

En effet, le principe qui a été découvert progressivement au cours de l'histoire occidentale et qui a été mis en lumière par les penseurs libéraux classiques, c'est que la liberté individuelle est créatrice d'ordre, mieux que n'importe quelle solution bureaucratique imposée d'en haut par la coercition. Et cela est vrai, non seulement sur le plan politique mais aussi sur le plan économique. L'allocation des ressources par le libre jeu de l'offre et la demande est la réponse la plus productive et la plus efficace aux besoins humains. Mais c'est aussi le seul système économique compatible avec une vision morale et religieuse de l'homme, fondée sur le droit naturel, c'est-à-dire sur l'idée que les gens ont, par définition, du fait même de leur présence sur terre, des droits qu'il est immoral et injuste pour quiconque de violer.

L'État moderne, grand prédateur

Libre à chacun bien sûr de renvoyer dos-à-dos libéralisme et socialisme, comme le fait Guillaume Bernard. Mais encore faudrait-il ne pas tomber dans la vision caricaturale et fausse qu'il fait du libéralisme. Car il est trop facile de fabriquer un homme de paille pour mieux le rejeter ensuite comme quelque chose de vulgaire et d'immoral. 

L'État moderne, qu'il soit de droite ou de gauche, est devenu « le grand prédateur », le grand confiscateur des libertés et des moyens financiers, promoteur d'un moralisme sans fondement, le tout au profit d'une mafia de rentiers de la politique. Or seuls les libéraux ont pu, dans le passé récent s'opposer à cette croissance apocalyptique. Et ce ne sont pas les chrétiens sociaux, ni les réactionnaires, tous tentés par la forme moderne de socialisme qu'est l'étatisme, qui ont pu s'opposer à cette croissance.



 
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