novembre 17, 2015

Dossier terrorismes et trafic d'armes

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.

Remerciement notamment à M. le Directeur, P. Verluise





Sommaire:

A) Trafic d’armes, l’étude des filières est une démarche majeure dans la compréhension des crises géopolitiques - Par Jean-Charles ANTOINE, le 14 novembre 2015 - Diploweb

B) Géopolitiques des terrorismes - Pierre VERLUISE, le 13 novembre 2015.

C) Terrorisme de Wikiberal

D) Droit au port d'armes de Wikiberal

E) L'attentat du 13 novembre 2015,La guerre est la santé de l'Etat - Par Bertrand Lemennicier



A) Trafic d’armes, l’étude des filières est une démarche majeure dans la compréhension des crises géopolitiques

Le trafic d’armes à feu est devenu emblématique de la marche d’une société. L’analyse géopolitique du trafic d’armes constitue le sujet d’étude transverse qui permet le mieux d’éclairer les véritables enjeux et désirs non dissimulés des acteurs de la géopolitique moderne.
IL y a de nombreux avantages à passer au crible les différentes opérations judiciaires, en France ou à l’étranger, visant à démanteler des filières illégales d’approvisionnement en armes au profit du grand banditisme ou de ce que nous pourrions nommer des « terroristes de voie publique  » [1]. Le premier avantage réside dans le fait de saisir des armes à feu et des munitions susceptibles de tuer des citoyens ou de commettre des actes criminels. La deuxième plus-value de ce type d’opération est la mise hors d’état de nuire des détenteurs illégaux eux-mêmes qui auraient probablement été sur le point d’agir dans l’illégalité (actes terroristes, braquages, réglements de comptes). Pourtant, il existe un troisième avantage souvent ignoré mais pourtant particulièrement crucial : celui de comprendre les mécanismes illicites et les enjeux qui sous-tendent l’action de ces individus dangereux. Cette dernière approche, plus sociétale, devient essentielle.

Rappelons que les filières du trafic d’armes - quels que soient leurs pays d’origine et mises à part quelques tentatives anecdotiques de fabrication artisanale d’armes comme l’a tenté l’ETA dans les années 1980 en désirant copier le pistolet mitrailleur Uzi – proviennent toutes sans exception des marchés légaux. Une arme à feu sort obligatoirement d’une usine de fabrication qui est elle-même le fruit d’une politique industrielle nationale ou privée légale à 99,99%. Il existe par conséquent une volonté réelle de faire « basculer » des armes des marchés légaux (dits « blancs ») vers les marchés illégaux (dits « noirs »), parfois en les faisant transiter par des marchés officieux voire clandestins mais encadrés par des Etats (dits « gris »).

Partant de ce constat, l’analyse des filières illégales, leur suivi, leur cartographie, bref l’étude complète du trafic d’armes à travers le monde, présente un intérêt tout particulier. Il laisse la possibilité de comprendre non seulement les mouvements officiels, officieux et clandestins d’armes et de munitions, mais également les différences entre les discours politiques et les actes sur le terrain par les Etats ou les groupes humains. Il permet de prendre en compte les filières illicites locales qui permettent aux populations de s’armer pour s’organiser en milices devenues des acteurs majeurs lors de tentatives de stabilisation post-conflits de régions entières. Mais plus généralement, comprendre le trafic d’armes oblige tout simplement à lancer les analyses dès la production légale, avec le suivi de ses évolutions techniques qui répondent à la fois aux besoins des combattants des armées et à ceux des Etats eux-mêmes dans leur recherche de puissance.

Les spécialistes actuels ont plutôt tendance à vouloir décrypter l’actualité par le prisme des discours et des actes. Et dans ce cadre, les transactions d’armes sont censées refléter les volontés des acteurs. Or, les situations sont de plus en plus brouillées depuis la fin du monde bipolaire, avec l’émergence d’un certain terrorisme de masse, depuis la création de l’Etat islamique présenté comme le califat sunnite qui renaît de ses cendres tel le Phénix sur fond de conflit israélo-palestinien sans fin prévisible. Les crises géopolitiques sont, nous le savons tous, un ensemble de paramètres évolutifs et complexes qu’il demeure difficile d’appréhender. Et à l’heure de la démultiplication du nombre d’acteurs dans les crises et à différentes échelles, lancer les analyses par le prisme des filières illégales d’armes permet de remonter jusqu’aux acteurs afin de mieux saisir tout l’enchevêtrement des facteurs de ces crises, et des groupes humains qui y interagissent, comme un jeu de piste pour lire le « dessous des cartes ».

Afin de mieux comprendre cette méthode quelque peu inversée par rapport aux études traditionnelles, partons des trois grands types de marchés pour faire ressortir toute l’importance de ces réseaux d’armement dans la marche du monde. Considérons successivement le marché « blanc » de l’armement, ou la recherche traditionnelle de puissance par les Etats-nations (I) ; puis les marchés « gris » des armes à feu et des munitions ou le désir d’influer sur l’évolution du monde sans en prendre la responsabilité (II) ; enfin le marché « noir » des armes, ou le renforcement permanent des acteurs non étatiques (III).

I. Le marché « blanc » de l’armement, ou la recherche traditionnelle de puissance par les Etats-nations

Les Etats-nations ont opéré, depuis les deux conflits mondiaux du XXème siècle, de profonds changements dans leur manière de faire interagir les décisions politiques et les forces armées. Alors qu’auparavant les hommes devaient s’adapter aux progrès techniques pour défendre la nation, depuis le début de la Seconde Guerre mondiale principalement, les usines de fabrication développent des programmes de recherches pour adapter les armements aux besoins des territoires d’engagement et des combattants eux-mêmes.

L’exemple du fusil d’assaut AK 47 illustre pleinement à ce titre cette évolution permanente. Lorsque Mikhaïl Kalachnikov, ingénieur soviétique blessé en convalescence pendant la Seconde Guerre mondiale, reprend en partie le mécanisme du fusil allemand Sturmgewehr 44 (le Stg 44), il fait évoluer l’arme et invente le fusil automatique Kalachnikov sous le nom « Avtomat Kalachnikov  » fabriqué officiellement dès 1947 d’où son appellation « AK 47 ».

Plus d’une décennie plus tard, afin de rationnaliser sa production, d’en réduire son coût et d’alléger son poids, Moscou lance officiellement la nouvelle version de ce fusil sous la forme de l’AKM 59, signe d’une commercialisation plus étendue de cette arme et d’une volonté d’exportation de son produit, donc également de son idéologie. En 1974, dans le but de répondre à un besoin des troupes soviétiques sur les champs de bataille asiatiques et africains, la firme soviétique Izmash lance une version plus courte tirant des munitions de calibre plus petit que le célèbre 7,62 mm. Naît alors l’AK 74 au calibre 5,45 mm afin de rivaliser avec le M16 américain.

Enfin, parallèlement à ce nouveau modèle, afin de répondre une fois de plus à un besoin opérationnel – dans ce cas la nécessité pour les troupes aéroportées soviétiques de se projeter rapidement sur des théâtres d’opérations avec un poids minimum – la même firme se met à produire l’AKS-74U de même calibre mais en version plus compacte et munie d’une crosse repliable [2]. Plus pratique, plus facilement transportable et dissimulable, ce fusil d’assaut devient l’arme d’assaut la plus efficace et verra son utilisation renforcée lors de la guerre en Afghanistan durant la décennie 1980.

Tout au long des quatre décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, les chercheurs en armement léger ont su faire évoluer l’arme de départ dans le but d’adapter la réponse opérationnelle aux besoins des troupes armées, donc de la politique des Etats. Lorsqu’un Etat acquiert surtout des armes compactes il est à penser que ses dirigeants cherchent avant tout à privilégier les forces de projection rapide.


Comprendre la production légale d’un Etat permet de saisir à la fois les besoins propres de ses forces armées ou de ses forces de l’ordre, mais également de comprendre comment risquent d’évoluer les Etats acquéreurs, y compris à l’autre bout du monde, même sans réelle garantie de succès opérationnel. La volonté politique de projeter ses forces sur un théâtre particulier laisse donc transparaître tout un ensemble de données techniques qui sont posées sur le papier lors des cahiers des charges. Ainsi en va-t-il du fusil d’assaut français FAMAS. Alors que la France s’engageait plus en profondeur dans le froid des hivers balkaniques, et afin de correspondre aux exigences des normes OTAN, a été conçu le FAMAS G2 à partir de 1994. Il est reconnaissable par la suppression de l’arcade de ponter, qui protège la détente et le sélecteur de tir dans la première version de l’arme, et celle-ci est remplacée par une garde bien plus large censée protéger la main entière et permettre de tirer sans ôter son gant. Un tel fusil d’assaut modifié montre à quel point la France désire pouvoir projeter ses forces par grand froid (Bosnie-Herzégovine, Kosovo et par la suite Afghanistan) mais également lors de missions subaquatiques au moyen des troupes de commandos de marine.

Plus généralement, le choix du type d’armes et de sa production sont également particulièrement significatifs en politique internationale. Lorsque dans la lignée de la Division Internationale du Travail en 1961, Moscou confie à la Tchécoslovaquie, la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie et la Pologne le soin de fabriquer des armes légères, les seuls aspects de proximité géographique avec l’Europe occidentale et de positionnement face à la mer Noire pour exporter par voie maritime l’idéologie communiste à travers le monde ne suffisent à expliquer ce choix. Le manque de confiance envers ces peuples « frères » considérés par le Kremlin comme insuffisamment développés par rapport à la Biélorussie et l’Ukraine, et prompts à trahir, oblige les dirigeants du PCUS à laisser à ces peuples est-européens et balkaniques la fabrication d’armes simples et non stratégiques contrairement au nucléaire ukrainien et russe ou aux armes conventionnelles. Scruter le marché légal de l’armement léger laisse par conséquent la possibilité de détecter certains pans de la géopolitique mondiale ainsi que certaines représentations et idées reçues.

Au-delà de ces choix politiques, la production réelle en armement léger demeure une donnée significative des capacités budgétaires d’un Etat et de sa volonté à accorder ou non de l’importance à la défense de son territoire et des ses intérêts supérieurs. Les budgets alloués sont la marque la plupart du temps d’un désir ou non de se positionner comme une nation indépendante ou à défaut de se protéger sous un parapluie stratégique d’une autre nation plus puissante. Pour autant, il est important de ne pas exagérer cet aspect parce qu’un pays peut réduire son industrie d’armement léger et vouloir continuer à peser sur la marche du monde. La France a notamment fait ce choix il y a maintenant plus de deux décennies et ne possède plus d’industrie de fabrication d’armes d’assaut. Ses forces armées et ses forces de l’ordre s’arment auprès de firmes étrangères souvent européennes, comme ce fut le cas avec le Beretta italien ou le Sig Sauer SP2022 germano-suisse.

Mais de manière générale, lorsqu’un pays décide d’abandonner sa production d’armes, il accepte de faire passer le message selon lequel il met de côté certaines ambitions de puissance au moins régionales et se consacre à d’autres priorités. Le fusil Kalachnikov, qui aura connu de multiples versions à travers le monde, demeure le symbole inaltérable à l’heure actuelle du combat rebelle en général, du faible face au fort, du guerillero contre le soldat étatique, bref du « combattant de la liberté ». Ce symbole aura perduré à travers les décennies de la Guerre Froide jusqu’à nos jours, à tel point que de nombreux criminels se percevant comme rebelles face aux Etats centraux s’arment de tels fusils de nos jours.

Enfin, et pour conclure sur l’importance de déchiffrer les détails qu’offre la production mondiale d’armement léger afin de mieux saisir l’évolution de la marche du monde, il est nécessaire d’examiner les chaines d’approvisionnement « gris » pour analyser les enjeux des acteurs. De telles supply chains montrent soit le soutien apporté, et par conséquent le pays qui est à l’origine de l’armement de forces rebelles, soit le niveau de confiance des forces non conventionnelles dans la technologie choisie ou offerte. L’URSS pouvait se permettre de transporter son idéologie et augmenter son influence à travers le monde durant la Guerre Froide parce qu’elle savait pertinemment qu’elle pouvait s’appuyer sur une technologie fiable, solide, robuste, rustique et endurante des fusils d’assaut Kalachnikov et Dragunov longue portée. Laurent-Désiré Kabila, ex-Président de la République Démocratique du Congo, ne disait-il pas qu’il était « possible de mettre une Kalachnikov dans la boue puis dans l’eau et le sable et de la donner ensuite à un enfant pour qu’il tire  » ?

Signe d’adaptation à tous les milieux naturels, cette arme a véhiculé plus qu’une technologie. Le fusil d’assaut AK-47 a toujours emporté avec lui et exporté une véritable manière d’être, une idéologie de la résistance et du combat, et un témoignage de la confiance dans le matériel léger soviétique comme levier d’influence politique à travers le monde.

II. Les marchés « gris » des armes à feu et des munitions, ou le désir d’influer sur l’évolution du monde sans en prendre la responsabilité

Les distributions discrètes d’armes légères et de petit calibre, ainsi que de leurs munitions respectives par millions [3] au profit d’entités non nationales, ont toujours été un signe plus ou moins masqué de l’aide apportée, par un pays ou un groupe d’Etats, à des forces rebelles. Les filières ni totalement légales ni totalement illégales ont plusieurs buts pour un Etat : faire pression indirectement sur un pays tiers sans devoir se dévoiler officiellement pour pouvoir arriver à une table des négociations en situation favorable, jouer sur la marche du monde en montrant ses capacités de puissance à différentes échelles et finalement instiller ou projeter ses propres valeurs politiques à l’étranger. La Guerre Froide a connu de très nombreux exemples dans ce domaine. Mais cette technique n’a pas disparu depuis 1991, même si elle a su se renouveler dans ses méthodes de communication.

Dans la région du Biafra, dans la partie sud-est du Nigeria particulièrement riche en pétrole, du 30 mai 1967 au 15 janvier 1970 s’est développé un mouvement sécessionniste. Dirigé par le chef des Ibos, Odumegwu Emeka Ojukwu, les sécessionnistes ont abouti à une déclaration d’indépendance en 1967 qui avait pour finalité de décrocher la région du Biafra de l’ensemble de l’Etat fédéral nigerian. Les Ibos majoritairement chrétiens ou animistes éprouvaient le désir de s’émanciper largement de l’ethnie des Haoussas majoritairement musulmans. De très nombreux témoignages ont par la suite montré l’aide indirecte de la France, via le Portugal et Sao Tomé, dans l’appui en armes et mercenaires (dont les célèbres Bob Denard et Roger Faulques) au profit des Ibos dans le contexte de Guerre Froide de l’époque. La France désirait de son côté « affaiblir le géant nigerian  » selon les propres termes de Pierre Messmer alors ministre des Armées, en réponse aux protestations du gouvernement du Nigeria face aux essais nucléaires français à Reggane dans le Sahara algérien.

Trois décennies plus tard, durant la guerre en Bosnie-Herzégovine de 1992 à 1995, des livraisons d’armes officieuses ont été dénoncées par le journal américain le Los Angeles Time, lorsque les Etats-Unis auraient facilité de tels transferts à partir de l’Iran au profit des combattants bosniaques, ce que le président Bill Clinton avait démenti le 9 avril 1996. Toutefois, selon une étude du GRIP, à la fin du conflit, un responsable saoudien a confirmé que l’Arabie Saoudite avait financé à hauteur de 300 millions $ une opération d’approvisionnement en armes et munitions à destination des combattants bosniaques. Ces livraisons se seraient effectuées par voie routière à travers la Croatie et par voie aérienne par l’aéroport de Tuzla [4].

Dans le cadre du conflit actuel en Syrie, depuis l’hiver 2012-2013 et jusqu’à l’été 2013, des livraisons du même type, et officiellement déclarées par des Etats rassemblés au sein du groupe des Amis de la Syrie [5] sous l’égide du gouvernement qatari, ont été menées au profit des éléments de l’Armée Syrienne Libre (ASL). Ces approvisionnements « gris », puisque non inscrits dans des accords commerciaux bilatéraux entre Etats reconnus, sont ciblés et ont pour finalité d’armer les rebelles syriens anti-Assad pour renverser le régime en place.

Ces livraisons « grises » du groupe des Amis de la Syrie marquent à ce titre un véritable tournant dans le domaine de la circulation « grise » des armes et munitions. En effet, alors que quelques décennies auparavant ces démarches étaient clandestines, elles sont désormais totalement assumées lorsqu’elles ont pour but d’apporter un modèle politique démocratique aux pays en guerre.

Cette évolution a pour but de donner une sorte de vernis philosophique et politique à des ambitions de puissance d’Etats désireux d’intervenir dans la marche du monde. Ces ambitions de puissance ont de leur côté pour corollaire une recherche d’équilibre des forces, qui pourrait amener un statu quo et éventuellement un arrêt des hostilités et par conséquent une baisse des décès sur le terrain.

Inversement, ces marchés « gris » sont parfois perçus par les populations comme déstabilisateurs. Pour une partie du peuple syrien, notamment les pro-Assad, ces livraisons interviennent comme des obstables de taille dans ce qu’ils considèrent comme une lutte anti-terroriste à l’intérieur de leur territoire, de la même manière que le ressentaient les troupes allemandes face aux Résistants durant la Seconde Guerre mondiale ou l’armée française face aux indépendantistes algériens jusqu’en 1962. Il est par conséquent intéressant de considérer les deux aspects de la question de ces livraisons, non pour y apporter un quelconque jugement de valeur, mais pour saisir tous les paramètres que ces livraisons d’armes et de munitions permettent d’expliquer ou engendrent.

Soutenir politiquement un mouvement rebelle indépendantiste au moyen de discours est une chose. L’aider en lui enjoignant des cargaisons entières d’armes à feu en est une autre. Et le pas franchi dans ce cas montre à quel point l’Etat (ou le groupe d’Etats) désire(nt) faire aboutir ses (ou leurs) ambitions. Le marché « gris » des armes légères et de petit calibre ainsi que celui des munitions est donc un prisme, une sorte de monoculaire, qui permet à la fois de connaître en détails les intentions des Etats, mais également de voir toute l’implication dont ils font preuve, ou pas, pour faire aboutir leurs ambitions.

Un dernier point dans ce domaine ne doit cependant pas être négligé. Contrairement à d’autres produits dont il peut être fait trafic, les armes ne sont pas à usage unique. Leur durée de vie est la plupart du temps très longue à partir du moment où leur entretien est assuré. Le renouvellement des marchés de l’armement léger, qui concernent des centaines de milliers d’emplois selon les pays, est toujours pris en compte par les gouvernements des Etats.

Ainsi, lorsque les anciens pays du Pacte de Varsovie ont effectué à partir de 1991 leurs transitions politiques, et que leur positionnement désormais sous le parapluie de l’OTAN les obligeait à adapter leurs armes à feu du calibre 7,62 mm au calibre 5,56 mm, des quantités astronomiques d’armes issues des anciens stocks militaires soviétiques ont pris le chemin des conflits africains. Ces mouvements ont permis d’une part un renouvellement des stocks mais également un renouveau de la production pour maintenir un emploi stable dans ces usines de fabrication. L’inverse aurait déstabilisé des pans entiers de ces économies nationales et aurait risqué de pousser les populations à vouloir revenir à la situation ante, à savoir le régime communiste.

Les filières clandestines existaient auparavant puisque des pays comme la Bulgarie, la Hongrie ou la Roumanie avaient déjà pour mission pendant la Guerre Froide de produire – depuis la Division Internationale du Travail en 1961 – et de fournir aux mouvements communistes révolutionnaires des armes et des munitions pour mener à bien leurs combats sur le terrain. Ces filières « grises » préexistantes ont donc tout naturellement facilité ces fournitures.

Les mouvements « gris » d’armement léger et de munitions sont donc un symptôme, celui de la volonté franche ou non des Etats de soutenir des entités politiques plus ou moins reconnues, mais également celui d’une situation sociale infra-étatique significative à un moment donné. Les embargos sont des décisions politiques susceptibles de freiner les livraisons d’armes, mais les contours définis de ces embargos sont les meilleurs atouts pour pouvoir les contourner à des fins politiques ou macroéconomiques.
L’analyse géopolitique du trafic d’armes, le suivi des filières illicites d’approvisionnement en armes légères et en munitions, ainsi que la compréhension du mécanisme global qui régit ce marché « noir » sont des fondamentaux de la géopolitique moderne.

III. Le marché « noir » des armes, ou le renforcement permanent des acteurs non étatiques

Par marché « noir » des armes et des munitions, il faut comprendre l’acquisition et la revente d’armes de différentes origines entre particuliers ou groupes de particuliers en dehors de toute légalité et de toute décision politique. A dire vrai, il est vraisemblable qu’aucun pays au monde n’est à l’abri de ce type de criminalité, quelles que soient les motivations des acheteurs. Les lois et les réglements étatiques étant par nature très différents d’un pays à l’autre, les filières du trafic d’armes à feu jouent de ces différences en traversant les frontières pour répondre à des besoins criminels ou d’autoprotection. Les filières d’approvisionnement ne sont alors en réalité que la concrétisation manifeste du désir de s’armer. Désir qui perdurera sans cesse si les Etats cherchent avant tout à éteindre les filières illicites plutôt que d’éteindre l’envie de les faire naitre.

D’anecdotique, le trafic d’armes à feu est devenu emblématique de la marche d’une société. Sur des théâtres d’opérations, de telles filières totalement clandestines et criminelles existent toujours. Cet état de fait est dû à l’absence de structures étatiques suffisamment fortes pour faire régner l’ordre et l’absence d’application d’un code pénal ayant cours sur ces territoires. Pour autant, même dans des zones totalement démocratisées et stables où un code pénal est appliqué, il arrive que des filières entièrement illicites prennent corps au profit des membres du grand banditisme local. Sans nécessairement établir un lien direct permanent entre ces deux types de territoires, il est absolument indéniable que les premiers d’entre eux – les territoires où les Etats sont faillis ou en guerre – servent de manière conséquente par la suite aux livraisons d’armes et de munitions à destination des seconds – les territoires aux structures nationales fortes – et l’actualité le met en exergue de plus en plus depuis deux décennies.

Divers acteurs non étatiques ont émergé au fil des décennies autour de ce thème du trafic « noir » d’armes. Leurs motivations étaient et demeurent totalement différentes les unes des autres : certains pour l’analyser et le comprendre, d’autres pour l’utiliser.

Des ONG toujours plus nombreuses sont nées du désir de combattre à travers le monde ces filières illégales d’approvisionnement. C’est le cas de Small Arms Survey (programme de recherche indépendant basé à Genève au sein de l’Institut Universitaire des Hautes Etudes Internationales depuis 1999) , dans la foulée d’autres ONG précédentes comme OXFAM (OXford committee for FAMine relief créée en 1942) ou Amnesty International (créée en 1961) qui avaient développé des départements internes pour analyser cette circulation des armes illégales au sein des conflits. Des groupes de chercheurs comme le GRIP (Groupe de Recherche et d’Information sur la Paix et la sécurité créé à Bruxelles en 1979) en ont également fait un de leurs sujets majeurs de recherche.

Face à ces combats menés par des chercheurs ou des acteurs de la société civile, des trafiquants ont émergé à la suite de l’effondrement des deux blocs politiques majoritaires en 1991. Ces trafiquants se sont enrichis et certains même ont fait fortune en armant illégalement, à l’échelle d’un conflit entier ou uniquement au profit de simples membres des grands banditismes européens, des acteurs criminels en farouche opposition avec leurs Etats centraux. Les buts de ces acteurs sont soit l’enrichissement (trafic de drogues, d’êtres humains, de véhicules, d’organes…), soit la destruction des structures étatiques (le terrorisme de différentes religions ou idéologies). De manière exceptionnelle, une petite minorité de ces acteurs non étatiques sont parvenus, grâce à l’armement qu’ils avaient amassé et dont ils se servaient dans les combats sur le terrain, à constituer des Etats autoproclamés. Ce fut le cas de la République Autoproclamée de Transnistrie (1992), mais quelques années plus tard le Kosovo (17 février 2008) et de nos jours l’Etat Islamique (DAECH, 29 juin 2014).

Sans aucune reconnaissance étatique initiale, les responsables des groupes identitaires décidés à se « détacher » territorialement, politiquement et parfois religieusement de leur centre d’origine, sont parvenus à leurs fins grâce à la terreur qu’ils ont su instaurer au sein des populations, ou encore des batailles armées qu’ils ont su gagner face aux forces en présence. Le trafic d’armes leur a permis de constituer de manière durable de véritables armées, et par conséquent de pouvoir décider eux-mêmes, sans aucune approbation internationale, de la création d’un Etat. L’utilisation de la violence armée est donc (re)devenue constitutive de la création d’Etats.

L’enjeu du trafic d’armes et de sa compréhension est par conséquent de taille et nettement plus pesant qu’il ne pourrait y paraître : appréhender en profondeur ce phénomène consiste à regarder les outils de puissance des acteurs, quels qu’ils soient, par le prisme de leurs armes illégalement acquises. Car c’est bien de la puissance de feu qu’il est question, celle de l’adversaire en mesure ou non de mener les protagonistes d’un combat à la table des négociations avec plus ou moins d’avantages. Un adversaire sans grande puissance de feu et sans forte capacité d’approvisionnement durable et de mobilisation de ses forces est à coup sûr moins considéré et pris au sérieux qu’un acteur surarmé. Rappelons à ce sujet la célèbre phrase de J. Staline le 13 mai 1935 en réponse à une question du ministre français P. Laval portant sur le respect du catholicisme en Russie : « Le Pape, combien de divisions ?  ».

A l’inverse, à la table des négociations, un protagoniste bien armé et solide fait peur. Sa puissance de feu impressionne et possède plus de chances d’imposer ses exigences au potentiel vaincu. L’idée même des rapports de force et des luttes d’influence réside dans ce concept. En cela, l’analyse géopolitique du trafic d’armes, le suivi des filières illicites d’approvisionnement en armes légères et en munitions, ainsi que la compréhension du mécanisme global qui régit ce marché « noir » sont des fondamentaux de la géopolitique moderne.

Il serait même assez logique et cohérent de définir le marché « noir » d’armes à feu comme un des « thermomètres » du niveau de refus par les populations du modèle politique existant sur le territoire d’un Etat, mais également du niveau de confiance des populations dans ce même modèle politique censé les défendre. Si certains habitants s’arment illégalement par choix de la rivalité envers leur Etat central, cet acte signifie qu’ils ne lui reconnaissent plus aucune légitimité politique. Pour d’autres, par peur des acteurs illégaux versés dans les trafics juteux, s’armer illégalement constitue une sorte d’acte de courage car ils ne reconnaissent plus dans leur Etat la capacité à les défendre au quotidien. Des milices naissent alors, des caches d’armes conséquentes se constituent. Mais dans les deux cas, le fait d’acquérir une arme en dehors de la loi est le symptôme d’une forte rivalité naissante, voire d’un désir de changement de modèle politique, quand celui-là même est imposé de l’extérieur.

Au risque de verser dans une quelconque « lapalissade », la possession illégale d’une arme à feu est le fruit d’une volonté de détenir un outil de puissance de nature à faire peur à son adversaire. Cet adversaire peut être l’Etat, et par conséquent les différentes forces publiques qui le servent et font rêgner les lois et réglements, mais également l’adversaire commercial lors de transactions douteuses, ou encore l’oppresseur ou le groupe ressenti comme tel.

Quoiqu’il en soit, le trafic d’armes et son augmentation doivent être considérés comme des symptômes d’un changement, ou à défaut, d’une volonté de changement. Le marché « noir » des armes et de leurs munitions, issu nécessairement du marché « blanc » puisque, rappelons-le, chaque arme est fabriquée dans une usine légale, est une thématique qui permet de comprendre les volontés de puissance des divers acteurs géopolitiques à travers le monde. Plus encore que cela, l’analyse géopolitique du trafic d’armes constitue le sujet d’étude transverse qui permet le mieux d’éclairer les véritables enjeux et désirs non dissimulés des acteurs de la géopolitique moderne.

Avant de déterminer des solutions adéquates pour lutter contre le trafic mondial d’armes légères et de petit calibre, il convient de saisir toute l’ampleur de ce trafic, mais également de le considérer non comme un sujet d’étude en marge de la géopolitique classique, mais bien comme un thème susceptible d’éclairer toutes les facettes de la géopolitique mondiale actuelle : les désirs de puissance, les besoins de protection, le poids des actions officielles, officieuses ou clandestines, mais également de comprendre les tactiques utilisées. S’imaginer « faire » de la géopolitique sans prendre en compte les outils qui offrent de la puissance à ses acteurs risque de devenir désormais et pour longtemps un véritable non sens.

Il est plus que probable qu’une nouvelle forme de sécurité est en passe d’émerger sur l’échiquier mondial, sorte de compromis permanent entre les forces publiques et privées de sécurité ou une superposition entre les Etats et différents acteurs s’arrogeant un certain monopole de l’usage de la force armée. L’acquisition illégale d’armement léger renforce la puissance de ces acteurs non étatiques criminels. L’heure est peut-être venue de d’appréhender ce nouveau modèle sécuritaire en gestation sous ses aspects géopolitiques en développant une « géopolitique de la sécurité publique ». Ce nouveau prisme intellectuel permettrait d’analyser ce potentiel équilibre des forces mais également la répartition des acteurs de la sécurité ou de l’insécurité sur la voie publique, ainsi que les enjeux forts qui y sont liés.

Par Jean-Charles ANTOINE, le 14 novembre 2015

Docteur en géopolitique de l’Institut Français de Géopolitique Paris 8. Il est spécialisé sur le thème du trafic mondial d’armes légères et de petit calibre. Ses recherches actuelles portent sur l’adaptation de la méthode géopolitique aux missions des forces armées et des forces de l’ordre, et plus particulièrement sur le thème de la sécurité publique.





B) Géopolitiques des terrorismes

Sommaire:

Géopolitiques des terrorismes 
Contre-radicalisation : que faire ?
Westgate Shopping Mall à Nairobi, Kenya : une attaque contre un lieu emblématique d’une Afrique mondialisée
L’Iran face à la crise syrienne  
Djihadistes : quelles actions ?
De la torture  
La Direction du Renseignement Militaire (DRM)
Les défis du renseignement militaire  
D’Al Qaida à AQMI, de la menace globale aux menaces locales
Premières rencontres européennes sur la menace terroriste et la lutte contre le terrorisme
Crime organisé : géopolitique d’un phénomène criminel  
La dimension géopolitique des opérations spéciales  
La guerre iranienne contre le terrorisme. Le cas du Jundallah  
Assassinats par drones : un cadre juridique ambigu
Lutte contre l’Etat Islamique : ambiguïtés, faux semblants et opportunités
Non, les Occidentaux ne doivent pas intervenir militairement au Moyen- Orient
Le Yémen en crise. Essai d’analyse géopolitique  
Géopolitique des risques. Jean-François Fiorina s’entretient avec Xavier Raufer
Al Qaida au Sahara et au Sahel. Contribution à la compréhension d’une menace complexe  
A-C Larroque, "Géopolitique des islamismes", Puf

Afin de lire ces différents chapitres de multiples auteurs spécialistes, merci de cliquer ICI
Géopolitiques des terrorismes
La Compil’ 1. Géopolitiques des terrorismes
Voici un livre pdf composé de 19 contributions, dont G. Chaliand, P. Conesa, B. Puga... ISBN : 979-10-92676-01-3

Pierre VERLUISE, le 13 novembre 2015.




C) Terrorisme de Wikiberal

Le terrorisme consiste en la pratique, par une personne, un groupe ou un État, de crimes violents destinés à produire sur leur cible (la population) un sentiment de terreur, souvent bien supérieur aux conséquences réelles de l'acte. Le terrorisme vise la population civile en général ou une de ses composantes, une institution ou les structures d'un État. L'objectif peut être d'imposer un système politique, de causer des destructions à un ennemi ou de déstabiliser une société, d'obtenir la satisfaction de revendications politiques, religieuses, racistes, séparatistes, etc.
Raymond Aron définit le terrorisme ainsi :
Une action violente est dénommée terrorisme lorsque ses effets psychologiques sont hors de proportion avec ses résultats purement physiques.
Partout et de tout temps, on observe que le terrorisme est le meilleur allié de l'accroissement de la coercition du pouvoir d'Etat ; il est d'autant plus nécessaire, en période de tension, de ne pas fléchir sur les principes de base des sociétés libérales.

Origine

Le mot terrorisme (ainsi que terroriste et terroriser) est apparu pour la première fois au XVIIIe siècle, durant la Révolution française, pendant le régime de la Terreur, lorsque le Comité de salut public dirigé par Robespierre exécutait ou emprisonnait toutes les personnes qui étaient considérées comme contre-révolutionnaires.
Le mot a plus tard évolué pour désigner aujourd'hui les actions violentes visant spécifiquement les populations civiles, faites dans le but de détruire, tuer et de mutiler. Les terroristes privilégient en effet les cibles civiles plutôt que les opposants armés.
Ces attaques ont pour but de promouvoir des messages à caractère politique ou religieux par la peur, ce qui différencie le terrorisme des actes de résistance visant à se libérer d'une occupation en détruisant les institutions politiques des occupants ou en assassinant ses représentants.

Les différents types de terrorisme

Il existe trois grands types de terrorisme :
  • le terrorisme individuel (nihiliste)
  • le terrorisme organisé (extrême-gauche, extrême-droite, islamisme)
  • le terrorisme d'État.
La terreur d'État a fait dans l'histoire beaucoup plus de victimes que la terreur d'en bas, celle du faible contre le fort.
Le premier épisode terroriste connu, rapporté par Flavius Josèphe, est celui des Zélotes, qui luttent en Palestine au Ier siècle après J.-C. contre l'occupant romain. La secte ismaïlienne des Assassins se fait connaître par ses actions violentes en Iran et en Syrie du XIe au XIIIe siècle. Autour de 1860, les mouvements nihilistes développent des actions terroristes en Russie. 


Terrorisme intellectuel 

Le terrorisme intellectuel est la pratique qui, au moyen d'arguments et de procédés intellectuels (conformes en général à la liberté d'expression), vise à intimider pour empêcher la formulation d'idées gênantes. C'est une censure idéologique qui vise à empêcher de parler de tout ce qui ne rentre pas dans les grilles de l’idéologie, et qui sera dénoncé par le politiquement correct comme étant un dérapage. C'est un moyen de favoriser ses propres idées et donc soi-même en tant qu'incarnation de ces idées (intellectuel défendant son statut, parti visant la conquête du pouvoir). La politique est un des domaines privilégiés du terrorisme intellectuel, mais la culture, l'enseignement, etc. n'en sont pas exempts.
« Le terrorisme intellectuel, ce sont les moyens que mettent en œuvre ceux qui savent très bien qu'ils ont tort pour empêcher que les objections les atteignent. Ils n'ont pas d'autres méthodes. »
    — Jean-François Revel
« Qu'appelle-t-on terrorisme intellectuel ? Le fait de vouloir déconsidérer une personne qui exprime des opinions au lieu de les réfuter par des arguments. »
    — Jean-François Revel
« C'est un système totalitaire. Mais d'un totalitarisme patelin, hypocrite, insidieux. Il vise à ôter la parole au contradicteur, devenu une bête à abattre. À abattre sans que coule le sang : uniquement en laissant fuser des mots. Les mots de la bonne conscience. Les mots des grandes consciences. Les mots qui tuent. »
    — Jean Sévillia, Le terrorisme intellectuel : De 1945 à nos jours, éd. Perrin, 2004
Parmi les procédés habituels qui sont au cœur du terrorisme intellectuel : l'emploi de la censure, de sophismes, le relativisme, le polylogisme (l'opinion ne compte pas, c'est la situation sociale de celui qui parle qui compte), la diabolisation, l'emploi de motvirus ("ultra-libéralisme", "néolibéralisme" ), les obstacles moraux au consentement, la dénonciation d'un "complot libéral", etc.
En France, il existe plusieurs procédés de terrorisme intellectuel utilisables facilement pour éviter tout débat :
  • le classique "point Godwin" qui consiste à mettre son adversaire sur le même plan que les Nazis (argument ad hominem utilisé quand l'adversaire est à bout de ressources) ;
  • spécifiquement français, le "point Poujade" permet de clore tout débat sur la fiscalité ou le rôle de l'État : "tu n'es qu'un égoïste ordinaire, tu veux seulement payer moins d'impôts" ;
  • le "point fasciste" est souvent une conséquence logique du "point Poujade" : "tu es contre la solidarité et pour le darwinisme social". George Orwell observait (déjà à l'époque du fascisme) que « le mot fascisme n’a plus aucun sens, si ce n’est dans la mesure où il recouvre quelque chose d’indésirable ».
  • le "point c-u-l" ("c'est ultralibéral") : quand les procédés précédents apparaissent trop datés et trop usés, l'accusation inusable d'"ultra-libéralisme" permet de qualifier l'adversaire d'extrémiste, comme si la liberté (confondue avec l'anomie) relevait d'une idéologie arbitraire, tolérable tant qu'elle ne serait pas "extrémiste".
Voir aussi La gauche en France

D) Droit au port d'armes de Wikiberal 

Pour la plupart des libéraux, le droit de porter des armes relève de la liberté individuelle et du droit à l'auto-défense. Il serait absurde, pour un libéral, de défendre le droit à la vie, et en même temps d'empêcher les personnes de se défendre comme elles l'entendent.
Comme dans le cas de l'interdiction de la drogue, la prohibition ne profite qu'à ceux qui ne la respectent pas (marché noir, trafics), tandis que ceux qui se conforment docilement à la loi sont les premières victimes. 

Raisons de l'interdiction du port d'armes

L'État trouve intérêt à réprimer le droit au port d'armes pour des raisons de "sécurité publique". Quand bien même l'État aurait légitimité à protéger les gens d'eux-mêmes (un paternalisme que les libertariens refusent), force est de constater sa défaillance quotidienne à protéger les citoyens des délits et crimes. L'État, qui est le plus grand acheteur (ou vendeur) d'armes, bombes, missiles, avions de chasse, etc., est mal placé d'un point de vue moral pour défendre une telle interdiction. La prohibition du port d'armes participe à la réduction des libertés, l'histoire montre qu'il s'agit là d'une des premières décisions que mettent en œuvre les dictatures (par exemple le nazisme en 1933[1]).
La raison cachée de l'interdiction du port d'armes est le risque de rébellion de la population (ou d'une partie de la population) contre l'oppression étatique. La propagande étatique dissimule cette vraie raison en invoquant le prétexte du risque d'une augmentation de la criminalité si le port d'armes était libre. L'examen du droit positif au fil de l'histoire montre clairement cette raison cachée, comme le prouve l'interdiction de port d'armes uniquement pour la population noire des États-Unis au XIXe siècle, ainsi que pour les Indiens en Inde sous la colonisation britannique.

Objections courantes 

  • Le port d'armes n'est défendu que par quelques « fêlés de la gâchette ».
C'est un argument ad hominem classique : n'osant pas attaquer un droit légitime, on attaque ceux qui défendent ce droit. Les policiers et les soldats sont-ils des "fêlés de la gâchette" ? On peut retourner l'argument contre ceux qui l'emploient en procédant comme eux à une attaque ad hominem : ils souffrent d'hoplophobie, peur irrationnelle des armes à feu et des personnes armées.
  • Légaliser la vente, la détention et le port d'armes, c'est accepter que les gens se fassent justice eux-mêmes.
La légitime défense n'a rien à voir avec le fait se faire justice soi-même. Elle consiste à utiliser la force en dernier recours pour empêcher ou stopper une agression. "Cette loi dit que tout moyen est honnête pour sauver nos jours, lorsqu'ils sont exposés aux attaques et aux poignards d'un brigand et d'un ennemi : car les lois se taisent au milieu des armes ; elles n'ordonnent pas qu'on les attende, lorsque celui qui les attendrait serait victime d'une violence injuste avant qu'elles pussent lui prêter une juste assistance" (Cicéron).
  • Le port d'armes libre profite aux criminels (ou aux déséquilibrés).
Les criminels se soucient peu de la loi et pourront toujours être armés (dans tous les pays où le port d'armes est limité, il y a un marché noir des armes très actif et assez facile d'accès[2]) ; en réalité la prohibition profite avant tout aux criminels, leurs victimes étant désarmées. Aux États-Unis, la logique qui interdit le port d'armes sur un campus quand n'importe qui peut y pénétrer et tirer sur des gens désarmés (« tueries scolaires ») est criminelle. Il faut noter que dans l'esprit des révolutionnaires de 1789, établir un contrôle des armes revenait à instaurer de nouveau des privilèges :
« Il est impossible d’imaginer une aristocratie plus terrible que celle qui s’établirait dans un État, par cela seul qu’une partie des citoyens serait armée et que l’autre ne le serait pas ; que tous les raisonnements contraires sont de futiles sophismes démentis par les faits, puisque aucun pays n’est plus paisible et n’offre une meilleure police que ceux où la nation est armée. »
    — Assemblée nationale, séance du mardi 18 août 1789,, Le Moniteur universel, n° 42, p. 351
Mirabeau était d'avis d'inscrire ce droit dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen, il avait même proposé l'article 10 suivant (article 11 dans les Mémoires de Mirabeau) :
« Tout citoyen a le droit d’avoir chez lui des armes et de s’en servir, soit pour la défense commune, soit pour sa propre défense, contre toute agression illégale qui mettrait en péril la vie, les membres ou la liberté d’un ou plusieurs citoyens. »
Cependant, les membres du Comité des Cinq[3] considérèrent que « le droit déclaré dans l’article 10 non retenu était évident de sa nature, et l’un des principaux garants de la liberté politique et civile que nulle autre institution ne peut le suppléer »[4]
  • Le port d'armes libre augmente la criminalité.
On constate que la légitime défense a un effet dissuasif, les pays (États-Unis, Suisse…) où règne une relative liberté de port d'armes, sont aussi des pays plus avancés que le reste du monde du point de vue du respect des libertés individuelles et n'ont pas une criminalité supérieure, au contraire. D'après Pierre Lemieux, les taux de crimes violents sont 81% plus élevés dans les États restreignant plus sévèrement le port d’armes[5].
Il est en fait très difficile d'établir une corrélation entre la quantité d'armes à feu en circulation et le taux d'homicide. Des pays où les armes à feu sont interdites ont des taux d'homicide bien supérieurs à celui des États-Unis. En Suisse, le port d'armes est resté libre de 1848 à 1998, et la première fusillade de masse n'est survenue qu'en 2001 (14 morts le 28/09/2001 au parlement de Lucerne) deux ans après la prohibition du port d'armes passée au niveau fédéral en 1999. On estime qu'il y a encore dans ce pays de 4 à 6 millions d'armes à feu pour une population de 8 millions d'habitants. 
  • Puisque la fonction d'une arme à feu est de tuer, elle devrait être interdite.
Cette conception souvent avancée est erronée. Une arme à feu peut également avoir comme fonction de menacer un agresseur dans le but de se défendre (ou seulement de le blesser pour le mettre hors d'état de nuire). Un usage passif, à but défensif, de l'arme à feu est parfaitement légitime, n'enfreint les droits de personne et permet au contraire de protéger ceux de son propriétaire. Tuer n'est en réalité qu'une des fonctions possibles d'une arme à feu au même titre que pour les voitures par exemple (on peut se servir d'une voiture pour écraser quelqu'un, mais les voitures ne sont pas prohibées pour autant). Si les armes à feu devraient être interdites parce qu'elles permettent de tuer des gens, on ne voit pas pourquoi cette interdiction ne concernerait pas également les policiers, les gendarmes et les militaires, qui doivent souvent tuer des malfaiteurs ou des ennemis.
  • Les gens armés menacent l'ordre en réduisant l'efficacité d'intervention de la police.
C'est plutôt l'inverse qui se passe. Il y a moins de raisons pour la police d'intervenir dans un environnement auto-dissuasif, où les malfaiteurs savent qu'ils ne sont pas mieux armés que leurs victimes potentielles. Ensuite, cela rétablit un certain équilibre des forces : la police ne peut plus devenir un instrument de coercition et d'arbitraire.
  • Le port d'armes entraîne de la part de l'État une surveillance accrue des citoyens, car la population devient alors une menace bien plus importante pour la sûreté de l'État en cas de troubles ; ainsi si le libre port d'armes augmente la liberté individuelle, il entraîne la réduction d'autres libertés.
Ce point de vue est infirmé par les divers classements mondiaux (dont Reporters Sans Frontières) des pays du point de vue du respect des libertés individuelles ou du point de vue de l'indice de démocratie de The Economist Group. Le port d'armes s'intègre de façon cohérente dans l'ensemble des libertés individuelles ; dès lors qu'il est autorisé, il serait incohérent de voir les libertés restreintes sur d'autres plans d'importance égale. 

 
E) L'attentat du 13 novembre 2015, la guerre est la santé de l'Etat

L’État d'urgence, le Congrès de Versailles, les prémisses d'une déclaration de guerre "officielle" à Daech ? A quoi cela sert-il de déclarer la guerre à des groupes privés qui ne sont pas des États ?

Alger 1957, autres temps, mais même problème, même sauvagerie et les islamistes étaient déjà là avec le FLN, mais comme le disait Yacef Saadi, c'était pour la bonne cause: l'indépendance et la sécession d'avec l’État français.

La nature profonde des États est de faire la guerre. Cela permet d'étendre les pouvoirs des hommes qui nous gouvernent et de les concentrer dans les mains de quelques uns d'entre eux. De toute façon, ils font constamment la guerre soit aux autres États et s'il n'y en a pas ils la font à leurs propres concitoyens (la guerre, la drogue, le tabac, les armes, les trafiquants en tous genres, le chômage, les hauts revenus etc.). Paradoxalement au lieu d'emporter ces divers combats, ils ne font que les accroître. Ce qui fait dire à beaucoup de gens que l’État moderne n'est pas la solution mais le problème.

Dans leur quête du pouvoir absolu, les gouvernants nous privent de nos vies soit en nous tuant massivement et brutalement (dictatures), soit en taxant massivement nos moyens de vivre (démocraties). En fait entre Bashar al Assad et François Hollande, la différence n'est pas si sensible qu'on veut nous fe faire croire puisque l'un tue par les armes une fraction de sa population au profit d'une autre pour préserver son pouvoir et celui de son clan (les Alouites) et l'autre vole une fraction de sa population (les riches) au profit de sa clientèle électorale, ils ont en commun de commettre tous deux des actes politiques qui constituent une violation flagrante des droits naturels et imprescriptibles de l'homme : "Article II du préambule de la constitution de la V ième République :

Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme, ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression").

Le problème du terrorisme contemporain au moyen orient, et dans le reste du monde, est le produit de l’État moderne occidental. Il est donc illusoire d'attendre de cette institution une solution. Il est ironique qu'un groupe privé religieux, dit islamique, aux idéaux universalistes, s'empare de territoires et y installe sa loi mettant en échec les frontières des États locaux modernes issus des accords secrets "Sykes-Picot" de 1916 entre anglais et français. Ces entités n'ont jamais été des États-nations, en dépit de la volonté de certains (Lawrence d'Arabie) de créer une nation arabe. Tant que les occidentaux refuseront l'émergence spontanée d'une fragmentation par sécession des États du Moyen Orient en plus petits États, homogènes à la fois religieusement, culturellement et politiquement, (la République Alaouite de Bachard el Assad avec le soutien des Russes, s'il n'arrive pas à reprendre le contrôle des grandes villes comme Aleps, Oms et Damas -le reste de la Syrie n'est qu'un grand désert-. L'autre formule, fragile, est celle du Liban avec une forme de partage politique du pouvoir entre les diverses communautés religieuses qui font de cet État un État qui n'a rien d'occidental, les islamistes vaincront. 
 
Le Djihad est une guerre juste du point de vue des islamistes "ad Bellum" et injuste "in Bello" car son arme essentielle est de tuer un maximum de tiers innocents. Les occidentaux répondent par une guerre injuste "ad Bellum" (en voulant exporter par les armes, s'il le faut, un régime politique démocratique, comme si la démocratie majoritaire était le meilleur des régimes politiques) et une guerre juste "in Bello" en évitant le plus possible de frapper des tiers innocents. Cette asymétrie n'est pas à l'avantage des occidentaux car une guerre doit être juste à la fois "ad Bellum" et "in Bello). Le terrorisme paradoxalement renforce chez les hommes politiques la prétention de faire une guerre juste en utilisant les concepts de droit naturel de" légitime défense et de droit de suite (intervention au sol en Syrie), concepts dont ils interdisent l'utilisation à leurs propres concitoyens en contrôlant le droit de porter et d'utiliser les armes et en décidant eux-mêmes, si vous utilisez votre arme légalement obtenue, pour vous défendre, si vous étiez vraiment en état de légitime défense et si votre riposte est proportionnelle au dommage attendu ! 
 
Le plus simple semble-t-il, mais c'est sans doute trop tard, eut été de laisser ces États locaux régler leurs problèmes entre eux sans intervention occidentale.
 
Bertrand Lemennicier
 
La lutte contre le terrorisme par Bertrand Lemennicier, janvier 2013
Guerre et Politique étrangère par M. Rothbard, 1978
La notion de guerre juste par Bertrand Lemennicier, mars 2003
Le terrorisme et le 11 septembre 2001 par Bertrand Lemennicier 2001
Légitime défense et droit de porter des armes par Pierre Lemieux 1993



 

novembre 08, 2015

Dossier CHINE - Économie

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.





Mise en perspective du ralentissement de la croissance économique chinoise
 

LES TURBULENCES des marchés boursiers chinois, une litanie d’indices d’activité mal orientés, l’annonce d’une croissance réelle de 6.9 % au cours de l’été et les hésitations de la politique économique, dont témoignent le changement du fixing du RMB accompagné d’une dévaluation surprise mal expliquée par les autorités, sont autant de signaux des difficultés de la Chine, au-delà des intentions affichées par ses dirigeants, à concevoir et à mettre en œuvre les nouvelles réformes nécessaires à l’émergence d’un nouveau régime de croissance. La période prolongée de croissance soutenue de la Chine entre la fin des années 1990 et le début des années 2010 ne devrait pas occulter le fait que l’économie a connu dans le passé des fluctuations marquées, scandées par les vagues de réformes successives mises en œuvre par le pouvoir. Les réformes « à la chinoise » sont centrées sur la recherche d’un point d’équilibre mouvant dans les rapports entre le Parti et la société, entre le contrôle social et la croissance, entre la réglementation et le marché, entre la règle de droit et l’arbitraire politico- administratif. Dans le passé, les réformes ont exercé des effets stimulants sur la croissance mais ceux-ci se sont épuisés progressivement en butant sur les distorsions et les dysfonctionnements inhérents à leur incomplétude. 

L’essor de l’économie chinoise depuis la fin de la période maoïste a été scandé par les vagues de réformes successives mises en œuvre par le pouvoir 

Entre 1978 et 2014, l’économie chinoise a cru, en monnaie constante, au rythme de 9.8 % l’an. La population est passée de 943,5 millions de personnes à 1,364 milliards ; le pays s’est urbanisé : la population rurale a reculé de 82 % du total à 45 %, près d’un quart de la population urbaine vit dans des agglomérations comptant plus d’un million d’habitants ; il s’est industrialisé - la part de l’emploi industriel a progressé de 18 % en 1981 à près de 30 % en 2011 ; et il a récemment commencé à se tertiariser – la part des services dans l’emploi total dépasse 35 % en 2011 contre 13 % en 1981. Le pays s’est massivement enrichi : le Pib en volume a été multiplié par 28 et le poids de l’économie chinoise, mesurée en USD courants (respectivement en PPA courante), est passé de moins de 2.5 % (2.3 %) du Pib mondial à près de 13.5 % (près de 17 %) et de 3 % du PIB américain (en parité de pouvoir d’achat) à 25 %. Le revenu par habitant a progressé de 8.7 % par an en moyenne depuis 1977, soit une multiplication par 15. En USD courants (resp., en PPA courante), il représente désormais 14 % (24 %) du revenu par tête américain et 17 % (32 %) du revenu français. Le niveau de vie moyen en Chine est égal à celui de la Corée du sud vers 1990. Les plus riches des Chinois ont un revenu comparable à celui des plus riches Américains, si les plus pauvres des Chinois ont des revenus alignés sur ceux des Indiens les plus pauvres [1]. 

La croissance chinoise n’a pas été exempte de fluctuations : la succession des réformes a imprimé des cycles propres et marqués à l’économie, reflets de ruptures de la tendance [2] plus que d’oscillations conjoncturelles autour d’une tendance

Les premières réformes, impulsées sous la direction de Deng Xiaoping, ont libéré la paysannerie du carcan de la propriété collective. Elles ont libéré la majorité des prix (à l’exception des prix de l’énergie et des taux d’intérêt), élargi les domaines ouverts à l’entreprise privée, stimulant les initiatives des élites locales et favorisant les investissements étrangers et les apports technologiques, redessiné les frontières entre les entreprises publiques et les entreprises privées, redéfini les relations entre les entreprises publiques et les pouvoirs publics centraux ou locaux, de même que le partage des tâches et des ressources entre Pékin et les autorités locales, provinces, districts, villes, etc. Progressives et jusqu’ici orientées dans un sens libéral, les réformes ultérieures, à partir des années 1990, ont été menées de manière prudente (et souvent testées à petite échelle avant d’être généralisées). Elles ont organisé un retrait de l’Etat central et des collectivités locales des industries « aval », une large libération des prix, la restructuration oligopolistique des grandes entreprises publiques repliées sur « l’amont » industriel accompagnés d’une réorganisation budgétaire centralisant les ressources fiscales, de la création en 1994 d’une banque centrale dotée de la responsabilité de la politique monétaire (mais pas indépendante), de la privatisation des droits d’usage sur le sol urbain en 1998, de l’ouverture aux capitaux et aux techniques étrangers et de l’ouverture de l’industrie à la concurrence internationale avec l’entrée dans l’OMC. 

Par rapport à celles réalisées dans d’autres pays de la transition, les réformes chinoises sont restées partielles 

Les réformes ont profondément transformé les structures et le fonctionnement de l’économie chinoise. Elles l’ont dotée d’un secteur privé bourgeonnant, dynamique et innovant, devenu le vecteur principal de l’activité du pays et le principal agent de la modernisation[3], des gains de productivité, de la création d’emplois urbains et de l’exportation. Les réformes chinoises ont une particularité fondamentale, qui les distingue des réformes apparemment semblables mises en œuvre dans d’autres pays développés et émergents : elles visent la prospérité du pays comme un moyen pour une fin, à savoir garantir la souveraineté du Parti Communiste Chinois (PCC) sur la société en même temps que sur ses propres cadres. Vis-à-vis de la première, l’enjeu est de conjurer tout risque de révolte en tenant la population à distance du pouvoir, en lui procurant un niveau de vie et des perspectives de bien-être en croissance, gage de paix sociale et de consentement à l’hégémonie du parti, tout en l’assujettissant par tous les moyens de l’autoritarisme policier, des plus archaïques aux plus modernes. Vis-à-vis des seconds, les cadres du parti, l’enjeu est de maintenir la discipline tout en leur procurant des privilèges et des opportunités d’enrichissement personnel et familial, gage de loyauté de l’élite du parti et de l’unité de ce dernier. Le PCC a conservé de puissants moyens de contrôle de l’économie. Il maintient une présence (cf. cellules d’entreprises) et une capacité d’influence incontournables dans les entreprises chinoises, qu’elles soient publiques, privées ou multinationales, une capacité redoublée par la pratique généralisée du sponsoring (guanxi) et la corruption :

 “You don’t become successful in China as a purely private entity, you need a powerful connection”, écrivait récemment The Economist, citant Kent Kedl, Directeur exécutif pour la Grande Chine et l’Asie du Nord de la firme de conseil Control Risks [4]. 

L’Etat conserve de vastes prérogatives réglementaires, dont l’application est rendue arbitraire par l’absence d’une justice indépendante. La réglementation des marchés de biens et services reste, selon l’Ocde, parmi les plus restrictives du monde et elle n’a été que modérément assouplie au cours des dernières années. Elle est même plus restrictive pour les entreprises chinoises, auxquelles restent inaccessibles plus de secteurs d’activité qu’aux entreprises étrangères. De manière cruciale, les prix des facteurs de production sont demeurés sous administration étatique. La terre, agricole et rurale, est propriété publique, de l’Etat s’agissant des terrains urbains et des ressources naturelles, et des collectivités, s’agissant des terrains ruraux et périurbains. Les personnes privées n’accèdent qu’à des droits d’usage de longue durée sur le sol (mais peuvent posséder les bâtiments). L’appropriation publique facilite et réduit le coût des évictions et fluidifie la réallocation des terrains. Elle est source d’abus particulièrement criants, notamment dans les zones périurbaines. La liberté de mouvement du travail est entravée par le système du Hukou, sorte de passeport intérieur, qui prive les migrants ruraux des droits et prestations des natifs. Le système a engendré une armée de réserve de migrants dans les grandes villes. Il a contribué à atténuer les pressions de l’industrialisation sur les marchés du travail urbain. La fermeture du compte de capital, même imparfaite, et le contrôle administratif des marchés financiers ont permis de canaliser l’épargne, de préserver une immense base de dépôts stable dans les banques en limitant le développement de placements financiers alternatifs, et d’établir des conditions financières favorables aux entreprises et à l’investissement : des taux d’intérêt très inférieurs à la croissance du Pib (et à la rémunération de l’épargne liquide des ménages) et un taux de change sous-évalué ont pu être maintenus sur la longue durée. Les réformes ont enfin solidement installé les entreprises publiques ( State Owned Entreprises, SOE sur les hauteurs commanding heights ) de l’économie chinoise [5]. Celles-ci, réduites en nombre, leurs effectifs élagués, leurs activités recentrées sur l’amont industriel, ont tiré profit de l’essor du secteur privé et pu capter des rentes oligopolistiques tout en continuant de jouir de privilèges : certains secteurs réputés stratégiques leur sont réservés, elles bénéficient du soutien des autorités locales et nationales en tant que « champions nationaux », elles attirent le plus gros des financements bancaires et elles composent la plus grand part de la capitalisation boursière à Shanghai et Shenzhen. La consolidation de leurs positions et le contrôle administratif des prix des facteurs de production a procuré d’énormes rentes aux entreprises publiques et à leurs dirigeants et ont permis les manipulations des gouvernements locaux en manque de ressources budgétaires. 

Le PCC à travers l’Etat chinois, s’est donné les moyens de mettre en œuvre une planification fortement indicative et de poursuivre des objectifs réputés stratégiques 

Il a continué de miser sur l’industrialisation rapide de l’économie, en donnant la priorité au développement des industries «lourdes», à forte intensité capitalistique[6]. Il a accompagné l’industrialisation par la création d’infrastructures : transports, communications, urbanisation. La priorité à l’industrialisation et aux industries lourdes a principalement favorisé les SOE mais aussi certaines entreprises privées. La stratégie du PCC a tiré parti d’un environnement international favorable qui a procuré débouchés, capitaux et apports de technologie au secteur privé, vecteur principal des progrès de productivité et de l’emploi. Les priorités du pouvoir ont doté l’économie chinoise de caractéristiques hors normes. La part de l’investissement en capital est montée de 30 % du Pib au début des années 1990 à près de 50 % du PIB aujourd’hui, un niveau plus élevé qu’avant les réformes de 1978 et inégalé dans le monde. La part des exportations dans le Pib s’est également envolée à partir de 1995, accompagnée en retrait par celle des importations, de sorte que la balance des opérations courantes avec le reste du monde est devenue structurellement excédentaire ; en contrepartie, la part de la consommation a fortement reculé sur la même période, de 50 % à la fin des années 1990 à 37 % en 2014. Les caractéristiques hors normes de l’économie chinoise ont longtemps stimulé la croissance en lui permettant de s’appuyer sur deux composantes exogènes de la demande : l’investissement, largement déterminé par la décision publique (celle de l’Etat, des collectivités locales et des SOE), et de ce fait, moins volatil que dans le reste du monde [7], économies développées comme économies émergentes ; et l’exportation, stimulée par un environnement international favorable, une demande mondiale deux ou trois fois plus dynamique que la croissance mondiale et une forte compétitivité. Les distorsions de l’économie chinoise ont été exagérées par la réaction des autorités à la crise de 2008- 2009. Pour compenser l’effondrement du commerce mondial (-10 % en volume en 2008) et la chute comparable des exportations chinoises de biens, les autorités chinoises ont réagi par un énorme plan de soutien (14 % du Pib) de relance par l’investissement (infrastructures, logements, équipements) financé par une envolée du crédit bancaire. La part de l’investissement dans le Pib a encore bondi de même que l’endettement de l’économie, la dette totale doublant en part de Pib, de 130 % du Pib en 2007 à 220 % en 2014 [8]. Les entreprises étatiques (SOE), qui ont drainé la plus grosse part des financements et largement contribué à la bouffée d’investissement, ont vu leur poids dans l’économie et la conduite de la politique macro-économique s’affirmer de nouveau. Les caractéristiques hors normes de l’économie chinoise se sont muées en freins quand les sources exogènes de demande ont fini par se dérober. Aujourd’hui, les exportations sont confrontées à la langueur, probablement structurelle, du commerce mondial, et à la perte de compétitivité des exportateurs chinois dont les coûts de production ont progressé plus vite que la montée en gamme de leurs produits. Le deuxième moteur de la demande, l’investissement, est entravé par la nécessité de résorber les capacités excessives créées au cours des dernières années dans l’industrie et le logement. Le FMI estime ainsi que la Chine a surinvesti l’équivalent de 10 % de son PIB. En outre, le surinvestissement s’est accompagné d’une mauvaise répartition du capital, de sorte que les gains d’efficience de l’économie se sont taris au cours des dernières années. La contribution de la productivité totale des facteurs (mesure des gains d’efficience de l’économie) à la croissance du Pib est devenue nulle et la contribution du capital explique désormais la totalité de la croissance vue du côté de l’offre. Le surinvestissement semble même avoir écarté l’économie chinoise de la frontière technologique mondiale[9]. L’économie chinoise souffre d’un net déclin de la compétitivité et de la profitabilité des entreprises. La progression du salaire nominal par tête a nettement ralenti au cours des derniers trimestres mais reste très supérieure à celle de la productivité du travail. Le niveau moyen du coût salarial par unité produite atteint désormais 60 % du niveau américain (contre moins de 40 % à la fin des années 1990). La profitabilité des entreprises industrielles chinoises est en net recul, minée par les surcapacités et la tendance fortement baissière des prix à la production, celle des SOE chutant à des niveaux pré-réforme et celle des entreprises privées (POE) stagnant depuis 2008. La Chine a cessé d’être la destination privilégiée des IDE tandis que les sorties de capitaux atteignent des niveaux inédits (plus de 500Mds USD depuis le début de l’année pour les mouvements hors IDE [10]), mordant sur les réserves de la Banque Centrale en raison des interventions de cette dernière pour soutenir la parité du RMB. Une dégradation brutale des bilans des banques sous l’effet des prêts non-performants ne peut être exclue. 

Après plus de trois décennies de rattrapage, la Chine doit entrer dans une nouvelle période de modernisation 

Dès 2013, le pouvoir a défini de nouvelles priorités : transition vers une économie fondée sur la consommation et montée en gamme de la production

Toutefois, les réformes annoncées en 2013 témoignent d’une priorité maintenue en faveur de l’investissement en infrastructures, en privilégiant la poursuite de l’urbanisation, enrichie il est vrai, de considérations politiques (renforcement des droits des migrants) et écologiques (référence à l’économie « circulaire »). Les manifestations de ces nouvelles priorités tardent à se matérialiser. La croissance des ventes de détail est dépendante de celle du revenu disponible des ménages, elle-même en ralentissement à la suite de la croissance de l’économie dans son ensemble. La contribution de la consommation des ménages à la croissance est contrainte par la faiblesse de la part du revenu des ménages dans le Pib (en chute de près de 20 points entre 1990 et 2012). Le taux d’épargne demeure sur un plateau élevé alors que la part de la consommation dans le Pib demeure sur un plateau bas. La croissance de l’emploi dans les services a fortement accéléré mais la croissance de l’activité dans les services ne marque guère d’accélération au cours des dernières années. L’investissement en R&D a progressé mais, à 2 % du Pib, reste d’un tiers inférieur à celui des Etats-Unis, de deux tiers à celui du Japon, de moitié à celui de la Corée. La Chine accuse un important retard en matière de robotisation avec 0.3 robot pour 100 emplois dans le secteur
manufacturier contre 1.6 dans la zone euro, 1.7 aux Etats-Unis, 2.9 au Japon. Le niveau moyen de l’éducation reste notablement en retrait par rapport à ces pays. Enfin, les autorités font preuve d’ambiguïté quant à leur engagement en faveur des réformes. La réforme des SOE est une composante prioritaire de l’agenda de modernisation. Mais les projets excluent non seulement la privatisation pure et simple mais aussi un relâchement du contrôle du parti et ils laissent intacts les privilèges et les positions de marché dont les SOE profitent. Les autorités caressent l’espoir de raviver l’exportation comme moyen de résorber les surcapacités industrielles. C’est le ressort des projets de nouvelles « routes de la soie » [11].

Après avoir fixé le cap de l’économie mondiale, pour les entreprises et les investisseurs des pays développés comme émergents, la Chine pour l’heure, intrigue, voire inquiète. Son poids dans l’économie mondiale incite à recycler de vieilles antiennes sur l’éternuement de l’une et les coups de froid des autres. La majorité des prévisionnistes exclut un scénario de récession en Chine, en considérant que les autorités disposent de marges de manœuvre pour assouplir la politique monétaire (y compris, pour certain, une dépréciation du RMB) et la politique budgétaire. Mais, la plupart exclut également l’hypothèse d’un « trou d’air », suivi par une vive reprise, considérant que la Chine n’a pas les moyens d’un plan de relance aussi massif qu’en 2008-2009 ou doutant de l’efficacité de la réédition d’une telle politique. La majorité des économistes retient l’hypothèse d’un ralentissement prolongé sur les prochains trimestres, suivi d’une reprise modérée voire médiocre, en raison de la résorption des déséquilibres économiques et financiers accumulés. En conséquence, la plupart des économistes écarte un scénario de récession mondiale provoquée par la Chine. Il reste que le ralentissement chinois pèse déjà sur la croissance des producteurs de produits de base qui sont privés des gains de termes de l’échange qui ont fortement contribué à leur prospérité au cours des 10 ou 15 dernières années. De ce fait, aggravé par la baisse des prix industriels en Chine, le ralentissement a contribué à la forte désinflation, confinant à une déflation, qui inquiète les Banques centrales des pays développés. Le risque ne peut être exclu qu’un ralentissement prolongé de l’économie chinoise ne renforce les forces déflationnistes déjà présentes dans l’économie mondiale. 


Patrick Allard - Consultant auprès d’une institution française. 




[1] Voir: Branko Milanovic, Trends in global income inequality and their political implications, LIS Center, Graduate School City University of New York, automne 2014.
[2] En appliquant des tests économétriques, Summers et Pritchett trouvent trois ruptures de tendance de la croissance chinoise sur la période allant de 1950 à 2010 : 1968, 1977, 1991. Ils soulignent, fait rarement constaté, que la croissance chinoise a exhibé 3 accélérations successives, jusqu’à 2010. Voir Lant Prichett et Lawrence Summers (« Asiaphoria Meets Regression to the Mean », NBER Working Paper n°.20573, octobre 2014.
[3] Voir Nicholas Lardy, Markets over Mao : The Rise of Private Business in China, 2014. Selon une étude « contrefactuelle » récente, les réformes ont procuré un décuplement de la productivité totale des facteurs (TFP) dans le secteur privé non agricole alors que la TFP est demeurée sur son trend pré-réformes dans les entreprises étatiques. Voir Anton Cheremukhin, Mikhail Golosov, Sergei Guriev, and Aleh Tsyvinski, “The Economy of People’s Republic of China from 1953”, NBER Working Paper, n°21397, juillet 2015, graphique 8, p. 54.
[4] Li Ka Shing lui-même, soupçonné de transférer une partie de sa fortune hors de Chine continentale, s’est fait récemment rappeler publiquement et sans ménagement qui l’a fait roi :
« On Sept. 12, the Liaowang Institute, which is linked to the official news agency Xinhua, published an editorial, "Don’t Let Li Ka-shing make an exit," which expressed great displeasure over Li’s moving his money out of China. The article reminded Li that his huge wealth, as head of the Hutchison Whampoa conglomerate, had come from his connections to powerful Chinese officials, not from a level playing field in a market economy ». Caixin, 29 septembre 2015.
[5] Les réformes chinoises se sont inspirés des théoriciens hongrois du « socialisme de marché », notamment des travaux de jeunesse de Janos Kornaï, a été invité à dispenser ses conseils aux économistes chinois dans les années 1990-2000.
[6] Le ratio de la production des industries « lourdes » à celle des industries « légères » est passé de 1 en 2000 à 2.5 en 2011. Voir Chun Chang, Kaiji Chen, Daniel F. Waggoner, and Tao Zha, « Trends and Cycles in China’s Macroeconomy », NBER Working Paper n°21244, juin 2015. Voir aussi Jose-Miguel Albala-Bertrand, « Structural Change in Industrial Output : China 1995-2010 », Working Papers, n° 754, School of Economics and Finance, Queen Mary University of London, septembre 2015 ; Xi LI, Xuewen LIU, Yong WANG, « A Model of China’s State Capitalism », HKUST IEMS Working Paper n° 2015-12, février 2015.
[7] Peng et autres, soulignent que la volatilité de l’investissement par rapport à celle du PIB est presque moitié plus faible en Chine comparativement aux marchés émergents et 40 % plus faible que dans les pays développés. Voir Daoju Peng (Chinese University of Hong Kong), Kang Shi (Chinese University of Hong Kong), Juanyi Xu (Hong Kong University of Science and Technology), SOE and Chinese Real Business Cycle, mai 2014, tableau 1.
[8] D’après McKinsey Global Institute, Debt and (not much) Deleveraging, février 2015, tableau E3, p.4.
[9] Voir Jack Yuan, China’s productivity imperativity, Ernst & Young’s, 2012, graphique 4, p. 9. La frontière technologique est définie des technologies implémentées dans les pays leaders en termes de revenu par tête.
[10] Estimations du Département du Trésor américain. Voir Report to Congress on International Economic and Exchange Rate Policies, U.S. Department of the Treasury, Office of International Affairs,19 octobre 2015, p 17.
[11] Enumérant ce qu’il considère comme « les piliers de la croissance chinoise », le directeur exécutif d’une firme d’une société d’investissement chinoise cite « to export infrastructure and over-capacity to other countries, through increased connectivity under the new Silk Road and “one belt, on road” strategy ». Kevin Lu, China’s economy : the four engines of growth, beyondbrics, 19 octobre 2015. 





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