février 05, 2015

Les "cinglés de libertariens feraient-ils peur ?

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.




Sommaire:

A) - Faut-il prendre les libertariens au sérieux ? - Le Point par

B) - Les villes flottantes: la dernière utopie des marxistes de droite - Slate par Emmanuel Haddad

C) - Micro-Etats, villes flottantes : le projet fou des nouveaux maîtres du monde - N-Obs par Dominique Nora


D) -

 


A) - Faut-il prendre les libertariens au sérieux ?

Preuve que le français reste une langue bien vivante, l'édition 2014 du Petit Larousse illustré s'est enrichie de plus de 150 mots. Qui vont de "botoxé" à "subclaquant", en passant par "lombricompostage" et "textoter" . Dans le domaine économique, plusieurs mots ont fait leur apparition. Deux d'entre eux feront plaisir à Arnaud Montebourg : "démondialisation" et "réindustrialisation". Autre entrant, le mot "libertarien", avec la définition suivante : "Libertarien, enne, n. et adj. (angl. libertarian ). Partisan d'une philosophie politique et économique (princip. répandue dans les pays anglo-saxons) qui repose sur la liberté individuelle conçue comme fin et moyen. Les libertariens se distinguent des anarchistes par leur attachement à la liberté du marché et des libéraux par leur conception très minimaliste de l'État. Adj. Relatif à cette philosophie."

Les auteurs du Larousse ont pris une heureuse initiative. D'abord parce que quand, en français, le libertarien n'est pas confondu avec le libertin, il l'est avec le libertaire. Ce qui n'a pas grand-chose à voir, puisque le libertaire, anticapitaliste radical, se situe tout à la gauche de la gauche. Ensuite parce que le mot libertarien apparaît de plus en plus fréquemment dans les journaux. On a ainsi pu lire dans Le Monde un portrait du conseiller économique de Marine Le Pen titré : "Bernard Monot, l'économiste "libertarien" de Marine Le Pen". Les deux auteurs de l'article y soulignaient qu'il y avait quelque chose d'un peu contradictoire à ce que M. Monot se proclame libertarien alors que les thèses de ce courant de pensée anglo-saxon sont aux antipodes de celles défendues par le Front national. Au nom de la libre circulation des marchandises et des hommes, les libertariens condamnent les obstacles à l'immigration et ils sont viscéralement antiprotectionnistes. Bref, quand le conseiller économique de Marine Le Pen se dit libertarien, on n'est pas loin du détournement d'héritage, une tradition, il est vrai, bien ancrée au FN.

Non, s'il faut surtout se familiariser avec les idées libertariennes, c'est parce qu'elles ont le vent en poupe aux États-Unis, portées haut et fort par un sénateur du Kentucky, Rand Paul, 51 ans. Début mars, au cours d'une consultation organisée pour départager les éventuels prétendants républicains à la Maison-Blanche en 2016, Rand Paul est arrivé en tête, avec 31 % des voix. Se montrant aussi critique vis-à-vis de la présidence Obama que vis-à-vis des huit années de mandat Bush - qualifiées d'"échec lamentable" -, il défend avec fougue des idées iconoclastes qui lui valent de compter à peu près autant d'adversaires chez les républicains que chez les démocrates.

En matière de politique étrangère, par exemple, Rand Paul se déclare non interventionniste. Plus question à ses yeux que les États-Unis se mêlent des affaires des autres pays et jouent le rôle, financièrement insupportable et moralement condamnable, de gendarme du monde. Son père, avant lui, s'était ainsi farouchement opposé aux guerres en Irak et en Afghanistan, avec cet argument : "Je ne vois aucune raison d'envoyer de jeunes hommes à 10 000 kilomètres d'ici pour attaquer un pays qui n'a commis aucune agression contre le nôtre."

Au nom de la défense des libertés individuelles, les libertariens dénoncent les procédures de surveillance informatiques des citoyens mises en place par Bush et Obama au nom de la lutte contre le terrorisme. En 2013, Rand Paul avait fait le buzz médiatique en menant au Sénat une opération de filibuster (obstruction parlementaire)- il avait parlé sans interruption durant treize heures - pour s'opposer à la nomination du nouveau patron de la CIA.

C'est aussi au nom de la défense des libertés individuelles que les libertariens souhaitent la dépénalisation des drogues, ce qui fait grincer quelques dents dans les rangs des ultraconservateurs républicains : Mitt Romney les a même traités un jour d'"oiseaux cinglés". Il est vrai que les libertariens n'hésitent pas à faire dans la provocation : dans la province de l'Alberta, au Canada, un de leurs candidats avait choisi d'écrire ce slogan osé sur ses affiches : "Je veux que les couples gays mariés puissent défendre leurs plants de marijuana avec leurs fusils."

En matière économique, les libertariens défendent un principe très simple : le moins d'État possible. Le moins de dépenses publiques possible, le moins d'État-providence possible, le moins d'impôts possible. Moins l'État se montre interventionniste, mieux cela vaut. Il faut laisser faire le marché. Il estime que les plans de sauvetage des banques décidés à la suite de la faillite de Lehman Brothers ont été à la fois inefficaces et extraordinairement coûteux.

Il considère surtout que la dette publique américaine est "out of control" et menace toute l'économie. Non seulement la Fed mène, selon lui, une politique insensée en faisant fonctionner la planche à billets, mais il juge scandaleux de transmettre en héritage les dettes actuelles aux jeunes Américains. Et quand on reproche à Rand Paul le fait que ses solutions sont extrêmes, il rétorque que c'est la situation des finances américaines et les 17 000 milliards de dollars de dette de l'État fédéral qui sont extrêmes. Hier considéré comme totalement farfelu, le message libertarien est aujourd'hui écouté avec de plus en plus d'attention aux États-Unis. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on pourrait imaginer qu'il le soit un jour en France. On peut s'y préparer en achetant la dernière édition du Petit Larousse.  

Par



B) - Les villes flottantes: la dernière utopie des marxistes de droite

Les libertariens américains engouffrent des millions de dollars pour construire d’utopiques cités en mer où une seule loi serait imposée: le libre-marché.

Les villes flottantes, c’est du sérieux. The Economist y dédie un dossier entier, leur principal financeur est Peter Thiel, le cofondateur multimillionnaire de Paypal, et le Seasteading Institute, un lobby de recherche et de promotion sur le «seasteading» («seasted communities» se réfère aux futures villes flottantes) se dédie complètement à leur réalisation technologique, légale et financière.

«Beaucoup de fous»

L’idée d’aller vivre au milieu de l’océan pour y développer «des communautés permanentes et autonomes dans l’océan pour permettre d’expérimenter divers systèmes sociaux, politiques et légaux innovants» n’a rien de burlesque ni d’utopique pour les fondateurs du Seasteading Institute

D’ailleurs, sur le papier, on se demande presque pourquoi les futures villes flottantes ne comptent pas déjà des milliers d’inscrits sur liste d’attente. D’une part parce que le cofondateur de ce lobby n’est autre que Patri Friedman, le petit-fils du père du néolibéralisme Milton Friedman. De l’autre, parce que son principal créancier est Peter Thiel et que «si Peter Thiel finance quelque chose, ça va forcément être grandiose et de pointe», comme s’en enthousiasme la journaliste de Reasons.com avant d’énumérer son flair d’entrepreneur: outre PayPal, il a entre autres été impliqué dans Linked In et a été le premier investisseur de Facebook. Enfin, parce que cette fois, promis les gars, c’est du sérieux: «Il y a dans l’histoire beaucoup de fous qui ont essayé ce genre de trucs et l’idée est de le faire d’une manière qui ne soit pas folle», juge bon de préciser Joe Lonsdale, ex-président de l’Institut et directeur de hedge fund.

Car des projets de communautés libertariennes perdues au milieu de l’océan pour échapper aux griffes (et aux impôts) de l’Etat, l’histoire du XXe siècle en regorge. Si les nouveaux concepteurs des villes flottantes s’en démarquent en qualifiant leurs prédecesseurs de fous, c’est qu’aucun n’a jamais réussi à dépasser le stade de l’utopie.

«L’Amérique, tu la détestes, et tu la quittes!»

Le point commun des premiers adeptes de la possibilité d’une île libertarienne, c’est d’être assez farfelus et impatients pour désirer voir leur utopie se réaliser de leur vivant. Dans sa thèse sur «Le mouvement libertarien aux Etats-Unis», Sébastien Caré, professeur de sciences politiques à l’université catholique de Lille, n’aborde le cas des cités-flottantes qu’après avoir évoqué la «désagrégation annoncée» du mouvement libertarien, en introduisant cette «tentative de repli communautaire» de la sorte:  

«Rattrapés par leur penchant individualiste, que leur engagement dans un mouvement collectif les incitait à réprimer, certains libertariens n’ont pas voulu attendre que leurs congénères se convertissent à leur doctrine pour la réaliser.»
Tom Marshall édite un magazine libertarien dans les années 1960, The Innovator. En 1969, il décide de mettre en pratique les conseils qu’il distille au fil des pages de son magazine et part vivre reclus dans les bois de l’Oregon, loin de la civilisation. Avant de disparaître, l’ermite avait pensé à fonder une île où tous les libertariens pourraient échapper à l’Etat américain, Preform. 

En 1968, Werner Stiefel lance l’Opération Atlantis pour donner vie au projet Preform. Pour cela, il réunit de jeunes militants libertariens dans un hôtel de luxe et les fait bûcher pour «créer une île artificielle aussi proche des côtes états-uniennes que les lois internationales l’eussent permis, et l’Oncle Sam toléré». En 1970, il jette son dévolu sur les îles Prickly Pear Cays, puis sur les Silver Shoals, également revendiquées par les Bahamas et par le dictateur haïtien Jean-Claude Duvalier. Le début d’une suite d’échecs d’un projet dont la seule réalisation finale, après avoir fait échoué un bateau, sera sa constitution, Orbis.

C’est dans l’Etat autoproclamé indépendant de Somaliland (au nord-ouest de la Somalie) que la constitution Orbis a failli dépasser le stade de l’utopie. Mais là encore, la principauté de Freedonia ne sera rien de plus qu’un rêve dans l’imaginaire bien rempli d’un étudiant texan, John Kyle, qui se fait rebaptiser Prince John Ier pour l’occasion. 

Mettre en application le titre du dernier numéro de The Illustrator, «L’Amérique, tu la détestes, et tu la quittes» et les préceptes de l’icône de la pensée libertarienne Ayn Rand, ce fut aussi le projet de Michael Oliver: la République de Minerve. Décidé à créer un Etat libertarien, il va d’abord essayer de l’implanter sur les îles de Turks et Caicos. Puis, après le refus des autorités britanniques, il se retourne vers un atoll situé à la limite du territoire de l’île Tonga. La République indépendante de Minerve est proclamée en novembre 1972 sur cet îlot inhabitable, mais peu après le roi des Tonga reprend la chose en main et l’île finit par se dissoudre dans l’océan... Et avec elle le rêve d’Etat libertarien de Michael Oliver. 

D’autres tentatives plus ou moins farfelues connaîtront la même fin. Un projet se démarque: dans le Millennial Project, vivre au milieu de l’océan n’est pas une fin en soi mais la deuxième des huit étapes à suive pour coloniser la galaxie, théorisées par Marhall T. Sauvage dans le livre The Millennial Project: Colonizing the Galaxy in Eight Easy 
Steps, publié en 1992. Actuellement, Le Millenial Project 2.0 poursuit la vision de Marhsall T. Sauvage et les adeptes peuvent faire des donations… via PayPal

«Gated-communities» sur mer

Outre le fait que toutes les tentatives plutôt extravagantes et mégalomanes de villes flottantes ont jusqu’ici échoué, certains libertariens critiquent l’essence même de ce projet, vu comme une perversion de leur idéal de liberté. Sébastien Caré, dont le dernier livre s’intitule Les Libertariens aux États-Unis: Sociologie d'un mouvement asocial, en souligne un élément majeur:
«Les micronations libertariennes reprennent très souvent le modèle étatique auquel s’opposent les principes censés présider leur constitution.»
Ainsi John Kyle devient Prince John Ier et Michael Olivier se rêve Prince Lazarus et leurs communautés plagieraient les monarchies d’antan. Mais surtout, ces projets ne sont possibles que selon «la conviction que l’Etat libertarien n’est applicable qu’à une communauté de libertariens», une conception qui, rappelle le chercheur, s’éloigne de la défense du pluralisme de la majorité des penseurs libertariens. A l’exception notable d’Ayn Rand.

Or c’est cette libertarienne, auteure d’Atlas Shrugged, le deuxième livre le plus influent pour les Américains selon une étude de la bibliothèque du Congrès en 1991 (après la Bible), dont la philosophie objectiviste fait l’objet d’un culte chez les adeptes du seasteading. Publié en 1957, ce récit dévoré par Alan Greespan et adapté au cinéma relate comment la vie en communauté séparée du reste du monde des entrepreneurs, scientifiques et créateurs les plus innovants fait sombrer le monde dans le chaos. L’influence du livre est soulignée par un article du Daily Mail qui revient sur le soutien de Peter Thiel à l’aventure des villes flottantes: 
«Peter Thiel, fondateur de PayPal, a été si inspiré par Atlas Shrugged –le roman d’Ayn Rand sur le capitalisme et le marché libre– qu’il essaye de faire de son titre une réalité.»
Certains qualifient sa philosophie d’«égoïsme rationnel». China Miéville préfère y voir une «philosophie typiquement américaine de la dissidence petite-bourgeoise et vénale». Les libertariens «érigent une avarice toute banale –la réticence à payer des impôts– en combat de principe pour la liberté politique», écrit l’auteur britannique de romans de science-fiction dans le recueil Paradis infernaux dirigé par Mike Davis et Daniel B. Monk.

Selon l’écrivain, l’utopie qui pousse les libertariens à investir l’océan se résume au refus de payer des impôts et à la peur panique du conflit social qui pousse les classes moyennes américaines à s’isoler derrière les grilles de «gated-communities» pour vivre avec leur famille. Le dernier échec en date de ville-flottante en est un emblème peu flatteur.

Freedom Ship devait être plus gros que le Titanic, accueillir 50.000 locataires, tous exemptés d’impôts, pour la somme généreuse de 11 milliards de dollars. Le bateau de 25 étages aurait dû se balader sur les mers depuis 2003, mais aux dernières nouvelles, «la liberté est en retard», comme le résume China Miéville, qui s’est amusé à aller déceler les dessous peu reluisants de cet énième projet avorté d’utopie flottante. 

«Freedom Ship Inc. n’a rien caché de son arrangement avec les autorités du Honduras pour construire le vaisseau à Trujillo, invoquant les avantages géographiques et la main d’œuvre bon marché des dix à vingt mille ouvriers imaginaires qu’ils imaginent exploiter.»
Une manifestation a même été organisée par la minorité garifuna, des descendants d’esclaves africains et améridiens, dénonçant les confiscations de leurs terres à cause de la construction du bateau. «Le Freedom Ship est et restera un château dans les airs –ou sur la mer– mais il a déjà posé ses fondations, sur la terre de quelqu’un d’autre», claironne l’écrivain britannique. Mais dans l’affaire, les garifunas ne risquent pas d’être les seuls à se plaindre: 4.000 personnes avaient déjà réservé leur ticket pour la liberté des mers pour des sommes allant de 80.000  à 5 millions de dollars.

«L’imagination utopique gratuite n’a pas bonne presse»

Tout reste donc à faire pour les adeptes d’Ayn Rand, ces «marxistes de droite» déçus du conservatisme politique américain et désireux de redonner au libéralisme ses lettres de noblesse. Et cette fois, il semble que les nouveaux penseurs du seasteading aient davantage les pieds sur terre. Pire, pour China Miéville, qui ne cache pas s’être délecté à la découverte des farfelues Millenial Project et autres opération Atlantis, «de nos jours, l’imagination utopique gratuite n’a pas bonne presse, il faut donc lui adjoindre une justification matérielle, aussi peu convaincante soit-elle».

Le Seasteading Institute la joue donc raisonnable: ils vendent une utopie pragmatique. L’idée est de «permettre aux futures générations de pionniers de tester de nouvelles idées de gouvernement. La meilleure peut ensuite inspirer des changements de gouvernements partout dans le monde». Un objectif louable, déjà visé par des think tanks dans le monde
entier. Mais l’entreprise de Peter Thiel et Patri Friedman veut aller plus loin, car «la nature du gouvernement est sur le point de changer à un niveau fondamental», préviennent-ils.
 
Plus question donc de fuite petite-bourgeoise de la réalité ni de communauté réservée aux seuls libertariens, les futures villes flottantes promues par la recherche de l’institut accueilleront quiconque est intéressé par l’expérience, toute idéologie politique confondue. 

«Nous n’avons pas de recommandation politique et je ne crois pas qu’une idéologie unique soit une bonne chose. L’idée serait donc d’expérimenter différentes formes de gouvernement et de garder la meilleure. Par exemple, une communauté avec des taxes, l’autre sans, une communiste, l’autre non», résume Michael Keenan, l’actuel président de l’institut.
 
Toujours est-il que l’anti-étatisme transpire dans le discours du jeune président qui confie voir «la société comme un système et la politique comme un problème technique»:
«Le problème de fond est qu’il n’y a pas assez de place pour l’innovation dans un gouvernement qui n’est pas assez compétitif. Si tu considères l’Etat comme une entreprise, elle représente 50% du PIB. Or si on peut choisir ses chaussures et son parfum, pourquoi ne pas pouvoir choisir aussi son mode de gouvernement?»
Après la disparition de l’île de la République de Minerve ou l’échec de Laissez-Faire City, une île privatisée qui devait être habitée par des entrepreneurs fans d’Ayn Rand, les concepteurs du Seasteading Institute se veulent prudents et les 2 millions de dollars de Peter Thiel sont dépensés avec parcimonie dans la recherche et développement. L’utopie doit prendre forme en trois temps, prophétise Michael Keenan:
«Dans deux ans, des seasteds basés sur des bateaux accueilleront des communautés de mille personnes; dans dix ans, des plateformes maritimes pourront loger des petites villes. Dans quelques décennies, des millions de personnes vivront dans des villes de la taille de Honk-Kong au milieu de l’océan

«Rejoignez le monde réel et combattez pour la liberté chez vous»

Les limites légales et technologiques ne manquent pas avant le passage à la deuxième étape. The Economist souligne que les communautés auront intérêt à rester proches des limites des eaux territoriales d’un Etat (22km) pour faciliter les allers-retours, quand bien même la zone économique exclusive d’un Etat lui permet de réguler jusqu’à 200 miles (321,8km). Certains pays, dont les Etats-Unis, se réservent même le droit d’étendre leur juridiction sur toute la planète, rappelle l’hebdomadaire britannique. Quant aux limites technologiques, Michael Keenan les dit déjà dépassées, mais les risques d’ouragan et les vagues de fond seront des ennemis récurrents; le mal de mer un danger permanent.

Ce qui nous ramène à la première étape, plus pratique: faire vivre une petite communauté dans un bateau. Plus pragmatique encore, le site du Seasteading Institute précise que «les premiers seasteaders seront des entrepreneurs, des employés de station balnéaire, des marins, des ingénieurs et des membres d’autres professions liées à l’économie du seasteading». 

Blueseed sera la première graine du rêve marin des libertariens. Ses fondateurs entendent éviter les lois américaines sur les visas pour permettre aux meilleurs entrepreneurs du monde entier de réunir leurs talents de créateurs sur une plateforme située au large de la Silicone Valley. Là encore, l’utopie est au service de l’intérêt général: «Blueseed bénéficiera à tout le monde en apportant des nouvelles technologies au marché, augmentant le niveau général de prospérité, et c’est pourquoi des gens de tous les moyens économiques supportent notre projet», nous explique son cofondateur Max Marty.   

Il n'y a plus qu’à attendre 2014 pour savoir si le vaisseau Blueseed sera une utopie plus flottante que le Freedom Ship. Et continuer à se boucher les oreilles devant le négativisme du libertarien Murray Rothbard, qui clamait dès 1972, en plein fiasco de l’opération Atlantis:
«Cela fait maintenant plus de dix ans que j’entends parler d’un nouvel Eden, d’une île, naturelle ou artificielle, qui vivrait de manière anarchique ou randienne. […] L’échec total et abject de toutes ces tentatives farfelues devrait envoyer un message à ses participants: rejoignez le monde réel et combattez pour la liberté chez vous.»
Emmanuel Haddad



C) - Micro-Etats, villes flottantes : le projet fou des nouveaux maîtres du monde

Les géants de la Silicon Valley imaginent des territoires off-shore pour y instaurer une société à leur image : riche, technologique et libertarienne. Au péril de la démocratie ?

Ils ont déstabilisé des industries entières, amassé des milliards, maîtrisé vos données et s’immiscent de manière de plus en plus intime dans votre vie quotidienne… Mais les seigneurs de la Silicon Valley voient encore plus loin : ils imaginent à présent de créer des "pays" à eux, des communautés offshore, où la technologie règne en maître. Leur projet fétiche ? Une myriade de cités marines, ne dépendant d’aucun gouvernement souverain. Dans ces villes flottantes modulaires, on ne paierait pas d’impôts, on réglerait ses factures en bitcoins, on ne consommerait que de l’énergie verte, on apprendrait en ligne, on serait livré par drone et soigné à coups de thérapie génomique…

Délirant ? Non : face à la faillite des économies occidentales, les fondateurs et dirigeants de Google, Facebook, Amazon ou Apple et leurs financiers californiens pensent qu’ils feraient mieux que les politiques. Persuadés d’être les nouveaux maîtres du monde, les oligarques de la technologie jugent les gouvernements de la planète incapables de suivre le rythme de leurs innovations "de rupture". Ils rêvent de s’émanciper des lois qui s’appliquent au commun des mortels. Et expriment, parfois, des velléités ­sécessionnistes. Au péril de la démocratie ?

Les Etats-Unis, "Microsoft des nations"

Le 19 octobre dernier, à Cupertino, dans la Silicon Valley, le fondateur de l’entreprise de génomique Counsyl, Balaji Srinivasan, s’est fait applaudir par une salle comble d’apprentis entrepreneurs en qualifiant les Etats-Unis de "Microsoft des nations". Comprenez : un géant désuet et obsolescent, destiné à être balayé par l’histoire. Quand une entreprise de technologie est dépassée, a-t-il insisté au cours de sa conférence intitulée "Silicon Valley’s Ultimate Exit", vous n’essayez pas de la réformer de l’intérieur, vous la quittez pour créer votre propre start-up ! Pourquoi ne pas faire la même chose avec le pays ?


Srinivasan exprime juste avec brutalité ce que les champions de l’économie numérique pensent souvent sans le crier sur les toits.
Il y a beaucoup, beaucoup de choses importantes et excitantes que nous pourrions faire, mais nous en sommes empêchés parce qu’elles sont illégales, disait Larry Page, le cofondateur de Google, en mai dernier lors de sa conférence de développeurs. […] En tant que spécialistes de la technologie, on devrait disposer d’endroits sûrs où l’on pourrait essayer des choses nouvelles et juger de leurs effets sur la société et les gens, sans avoir à les déployer dans le monde normal."
Les seigneurs du numérique n’ont certes pas formé un parti. Mais ils sont nombreux à se réclamer, comme le créateur de l’encyclopédie internet Wikipédia, Jimmy Wales, d’une culture "libertarienne". Une école de pensée qui abhorre l’Etat et les impôts et sacralise la liberté individuelle, "droit naturel" qu’elle tient pour LA valeur fondamentale des relations sociales, des échanges économiques et du système politique. Historiquement marginale, cette mouvance gagne en influence aux Etats-Unis, avec des adeptes aussi bien dans le Tea Party qu’au sein des partis républicain et démocrate. Selon un sondage Gallup du 14 janvier 2014, 23% des Américains (contre 18% en 2000) sont en phase avec les valeurs des libertariens. A Washington, leur héros, Ron Paul, député républicain du Texas et ex-candidat à l’élection présidentielle, veut abolir la banque centrale américaine – la Federal Reserve – et prône le retour à l’étalon-or.

La Californie divisée en six nouveaux Etats

Les plus modérés restent dans le cadre du jeu politique conventionnel, comme Tim Draper, avec sa campagne "Six Californias". Partenaire de la prestigieuse société de capital-risque Draper Fisher Jurvetson (qui a financé des succès comme Hotmail, Skype ou Tesla Motors), Draper juge le Golden State "de plus en plus ingouvernable et sous-représenté à Washington". Il veut donc soumettre au suffrage populaire, en novembre prochain, une initiative pour éclater ce colosse en six nouveaux Etats à part entière, dont la Silicon Valley. Sa motivation ?
La Californie taxe beaucoup ses citoyens pour une performance médiocre, nous explique-t-il. Parmi les 50 Etats américains, la Californie est celui qui dépense le plus pour l’éducation, alors qu’elle ne se classe que 46e pour ses résultats. Elle compte parmi les Etats qui consacrent le plus d’argent aux prisons, alors qu’elle affiche parmi les pires statistiques en matière de récidive."
Tim Draper veut donc remplacer l’administration bureaucratique de Sacramento, la capitale de l’Etat, par six nouveaux gouvernements plus en phase avec les intérêts économiques des grandes régions. Pour faire de la Silicon Valley le paradis des cyber-yuppies ? "Non, rétorque-t-il. Cette idée est aussi très populaire dans les zones les plus pauvres de Californie, qui estiment ne pas bénéficier des fruits de la redistribution." Selon lui, "six nouveaux Etats pourraient innover, échanger les meilleures pratiques, et se faire concurrence pour séduire les comtés limitrophes".

Des "micro-nations" offshore

Performance, concurrence : ce sont les mots-clés d’initiatives plus audacieuses encore, qui préconisent de sortir carrément du cadre politique. Patri Friedman, petit-fils du célèbre économiste libéral Milton Friedman, a ainsi créé en 2008 le Seasteading Institute, qui milite pour couvrir la planète de "villes-nations flottantes" échappant à la souveraineté des Etats.
Ces micro-nations permettront à une génération de pionniers de tester de nouvelles idées de gouvernement, nous explique le directeur exécutif de l’Institut, Randolph Hencken. Celles qui réussissent le mieux pourraient alors inspirer des changements aux gouvernements autour de la planète."
Techno-utopie ? Pas si sûr… Deux anciens cadres de l’Institut, Dario Mutabdzija et Max Marty, ont créé la société BlueSeed pour contourner la loi américaine sur l’immigration. Ils projettent de fonder un village incubateur de start-up, avec une communauté de geeks vivant et travaillant sur un navire géant ancré à la limite des eaux territoriales américaines, à 22 kilomètres au large de Half Moon Bay, au sud de San Francisco. "Cet emplacement permettrait aux entrepreneurs du monde entier de créer et de développer leur société près de la Silicon Valley, sans avoir besoin de visas de travail américains", lit-on sur leur site web
Les résidents de ce bâtiment battant pavillon des îles Marshall ou des Bahamas pourraient rallier le continent par ferry, munis d’un simple visa business, plus facile à décrocher. La PME, qui a déjà levé plus de 9 millions de dollars, négocie le leasing d’un navire et pourrait se lancer dès l’été 2014, si elle parvient à récolter 18 millions supplémentaires.

Paradis des geeks

De son côté, le Seasteading Institute, qui a déjà levé 1,5 million de dollars auprès du multimilliardaire libertarien Peter Thiel, pousse son projet de "Ville flottante". L’Institut a mandaté le bureau d’études néerlandais DeltaSync pour imaginer un concept sûr, financièrement abordable, confortable et modulaire. Son étude de faisabilité de 85 pages, publiée en décembre 2013, préconise des unités architecturales en béton renforcé, pouvant s’agglomérer ou se détacher à la guise de leurs occupants. Ces micro-communautés, paradis des geeks, où le prix du foncier avoisinerait 4.000 euros/m2, développeraient leur économie autour des technologies de l’information, mais aussi du tourisme médical, de l’aquaculture et des énergies alternatives.

Avant d’envisager d’établir leurs communautés en haute mer – ce qui est compliqué et coûteux –, Patri Friedman et ses partenaires songent à établir la première ville flottante dans les eaux plus calmes du golfe de Fonseca, en Amérique centrale. Selon la presse américaine, ils négocient avec le Honduras, dont le gouvernement compte des sympathisants du mouvement libertarien. "On a encore beaucoup de travail, mais je suis optimiste : si tout va bien, la première communauté flottante pourrait être inaugurée à la fin de la décennie", annonce Randolph Hencken.

La liberté… contre la démocratie

En attendant, le Seasteading Institute a recruté des dizaines d’ambassadeurs bénévoles pour prêcher sa cause sur la planète. Et il s’est lancé dans une évaluation des candidats potentiels : "1.200 citoyens de 57 pays – à 45% non américains – nous ont déjà dit qu’ils étaient volontaires", affirme son directeur exécutif. Il faut dire que les vidéos promotionnelles de son site web sont alléchantes : de vrais bijoux marketing, qui racontent une fable à laquelle tout le monde a envie de croire.

A écouter Friedman et ses amis, en effet, seul le système politique sclérosé et ses vieilles lois terrestres empêchent de résoudre les grands problèmes de notre civilisation. Selon eux, repartir d’une "feuille blanche", comme les pères fondateurs, permettrait de "libérer le génie inhérent à la race humaine". Des "esprits éclairés formeraient des centaines de cités-laboratoires, pour expérimenter", ils inventeraient de nouvelles formes de gouvernance et développeraient les technologies permettant de "nourrir les gens qui ont faim, enrichir les pauvres, guérir les malades, restaurer les océans, nettoyer l’atmosphère, se débarrasser des énergies fossiles."

Problème : il y a un gouffre béant entre les objectifs humanitaires et environnementaux affichés par le Seasteading Institute… et l’idéologie hypercapitaliste que ses promoteurs et financiers libertariens appellent de leurs vœux ! Patri Friedman ne cesse de critiquer la démocratie comme "inadaptée" à la création d’un Etat libertarien. Quant à son principal mécène, Peter Thiel, il assène en avril 2009, sur le site du think tank Cato Institute : "La liberté n’est pas compatible avec la démocratie." Et se dit convaincu que nous sommes dans une "course à mort entre la technologie et la politique".

Thiel, dont la famille a émigré d’Allemagne quand il avait un an, déplore le ralentissement technologique américain, dont il fait une analyse très personnelle. "Les hommes ont atterri sur la Lune en juillet 1969, et Woodstock a commencé trois semaines plus tard. Rétrospectivement, on peut voir que c’est le moment où les hippies ont pris le contrôle du pays et où la vraie guerre culturelle sur le progrès a été perdue", écrivait-il en 2011 dans le "National Review". Pour lui, le sort de la planète pourrait donc "dépendre des efforts d’une seule personne [lui-même ?], qui construise et propage la machinerie de liberté susceptible de rendre le monde sûr pour le capitalisme". Diable…

Sentiment de toute-puissance

Ses pairs ne sont pas tous aussi radicaux. Mais, enivrés par leurs performances boursières (avec respectivement 476 et 371 milliards de dollars, Apple et Google sont deux des trois premières capitalisations américaines) et leur spectaculaire réussite personnelle (10 des 29 milliardaires de moins de 40 ans sur la planète viennent du monde de la technologie), les nouveaux tycoons du numérique souffrent indubitablement d’un complexe de supériorité. Ils en viennent à regarder de haut ces chefs d’Etat qui les reçoivent en égaux et quémandent leurs investissements. 

Page et Brin (Google), Bezos (Amazon) ou encore Zuckerberg (Facebook) n’ont-ils pas, en moins de deux décennies, créé des sociétés plus riches – et mieux gérées – que nos trésors publics ? Leur software n’est-il pas en train de "dévorer le monde", selon l’expression de Marc Andreessen, inventeur du premier navigateur internet Mosaïc ? Leurs technologies de rupture n’ont-elles pas déjà déstabilisé des industries aussi puissantes que la téléphonie, la musique, le cinéma, la télé, la publicité, les médias ? Et même des institutions comme l’éducation supérieure, la médecine, la monnaie ? Ils pensent donc que c’est au système politique qu’il faut désormais s’attaquer !

Ce sentiment de toute-puissance s’est déjà clairement manifesté, à l’automne dernier, quand un conflit sur le budget a forcé le gouvernement fédéral américain à fermer provisoirement une partie de ses services.
Les entreprises transcendent le pouvoir, lançait alors Chamath Palihapitiya, un ancien employé de Facebook qui a créé son fond de capital-risque, lui aussi soutenu par Peter Thiel. Si elles ferment, le marché boursier s’effondre. Si le gouvernement ferme, rien n’arrive, et nous continuons à avancer, parce que cela n’a pas d’importance. La paralysie du gouvernement est en réalité bonne pour nous tous."
De même, Balaji Srinivasan a-t-il rappelé, lors de sa conférence, que l’Amérique de l’après-guerre était dominée par Boston pour l’éducation supérieure, New York pour la finance, la publicité et l’édition, Los Angeles pour le divertissement et Washington DC pour les lois. "Nous avons mis une tête de cheval dans chacun de leurs lits, a-t-il plaisanté, en référence à la scène mythique du film 'le Parrain'. Nous sommes devenus plus forts que l’ensemble de toutes ces villes".

Il n’est pas sûr que ces idées, répandues dans la blogosphère, se traduisent dans la vie réelle. Mais même si tous les fantasmes de ces techno-oligarques ne se concrétisent pas, ils attirent l’attention sur de vrais glissements qu’il serait dangereux d’ignorer. Une réelle perte de légitimité des Etats et de la classe politique, l’émergence d’une génération nomade de travailleurs numériques souvent plus loyaux à des communautés virtuelles qu’à leur propre nation. Et l’arrogance d’une hyperclasse entrepreneuriale tentée de s’affranchir des contraintes de la démocratie. Et qui en aura les moyens.

Menace d'un techno-fascisme

Les pessimistes lisent dans ces tendances la menace d’un techno-fascisme 2.0. Mais pour les optimistes, ces tentations isolationnistes pourraient au contraire annoncer un retour de balancier. Jusqu’ici, en effet, les Steve Jobs, Larry Page et autres Elon Musk (Tesla, Space X) sont des héros populaires : les incarnations modernes du rêve américain. A ceci près que, contrairement aux Rockefeller ou aux Rothschild (et à l’exception d’un Gates ou d’un Zuckerberg, récemment devenus philanthropes), ces seigneurs du numérique se préoccupent comme d’une guigne de rendre une partie de leur bonne fortune à la société. 

Ils mènent un train de vie de plus en plus ostentatoire, à l’image du cofondateur de Facebook Sean Parker s’organisant un mariage princier inspiré du "Seigneur des anneaux" ou du financier Vinod Khosla, privatisant une plage publique californienne pour une fête. Ils mettent le feu au marché immobilier de San Francisco. Font fortune en exploitant à leur insu les données personnelles des usagers de leurs services. Ouvrent en catimini leurs serveurs aux agences de sécurité. Tous, bien sûr, sont obsédés par la réduction de leur facture fiscale, partout sur la planète. 

Et si ces techno-milliardaires devenaient aussi détestés que les banquiers de Wall Street ou les barons du pétrole ? Pour Bill Wasif, du magazine "Wired", ce serait le début de leur perte. Car contrairement aux magnats de l’industrie ou des matières premières, le succès des géants du numérique dépend de l’adhésion de leurs millions d’usagers à leur marque, aux applications, réseaux sociaux et communautés virtuelles qu’ils créent. "Si le service est gratuit, c’est que le produit, c’est toi", dit l’adage de l’économie numérique. Alors, ne l’oublions pas, ce qui fait leur valeur… c’est nous ! 

Le mouvement libertarien 
Ni de droite ni de gauche, ce courant politique est "hyperlibéral" sur le plan économique, et "hyperlibertaire" sur le plan des mœurs. Les libertariens militent pour la pure loi capitaliste, la liberté complète des échanges et la coopération entre individus. Contrairement à leurs cousins conservateurs, ils respectent les choix de vie privée, pour autant qu’ils ne nuisent pas à la liberté d’autrui. Mais, comme eux, ils dénoncent la coercition exercée par le gouvernement et les institutions : ils exècrent impôts et taxes et rejettent toute forme de redistribution de richesses. Le rôle du gouvernement fédéral, à leurs yeux, devrait se limiter à la défense nationale, aux affaires extérieures et à la justice. 

Les libertariens puisent leur inspiration chez des penseurs comme le Français Frédéric ­Bastiat (1801-1850) ou les économistes de l’école autrichienne Friedrich Hayek (1899-1992) et Ludwig von Mises (1881-1973). Leur roman culte, c’est "Atlas Shrugged" (en français "la Grève", Ed. Les Belles Lettres) de la philosophe d’origine russe Ayn Rand (1905-1982), qui met en scène une grève des "hommes de l’esprit", sans lesquels le monde ne peut plus tourner. D. N.

 

D) -  



février 02, 2015

Laïcité ou Laïcisme, une religion du "néo-socialisme" ?

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.

Sommaire:

A) - Pauvre école de Bruno Riondel

B)Laïcité de Wikiberal

C)Laïcité, neutralité, et subventions de Roseline Letteron Professeur de droit public à l'Université Paris-Sorbonne





A) - Pauvre école de Bruno Riondel

L’ex-ministre Vincent Peillon définissait la laïcité comme « la religion de la République », ajoutant, fidèle à l’esprit de subversion trotskiste, que « c’est au socialisme d’incarner la révolution religieuse dont l’humanité a besoin ». Le but est d’arracher l’enfant à ses déterminismes (sexuels, religieux ou nationaux) au nom d’une mystique laïque de transsubstantiation sociale. Il s’agit de créer un nouvel opium pour un peuple standardisé par les vertus de l’égalitarisme mimétique ; sur le plan moral, l’équivalent du costume Mao pour tous.

Ainsi, l’Éducation nationale devenue nouvelle Église a son Dieu qui est le nouvel homme fantasmé, sa cléricature arrogante, ses dogmatiques pédagogistes, son credo de l’enfant roi, ses péchés de transmission et de sanction, son acte de contrition par le discours repentant, son démon, l’extrême droite aux vastes contours, et son eschatologie de la parousie multiculturelle, avatar d’un Grand Soir qui ne fait plus recette.

Au sein de cette école, la suppression des notes parachèvera l’application du plan communiste Langevin-Wallon, de 1944, travail de déconstruction du système d’instruction au profit du formatage idéologique d’élèves komsomolets. Gérée par des syndicats d’ultra-gauche dont le pouvoir est proportionnel à l‘impuissance de ses ministres marionnettes, l’Éducation nationale est, depuis lors, la chasse gardée des léninistes.

On y arase les restes de la domination bourgeoise. Les dernières structures d’autorité – règlement intérieur, équipes professorales, fonctions de direction et programmes ambitieux – cachent mal la déliquescence d’une école en anarchie. Finkielkraut osa le qualificatif de « village Potemkine ». Le mensonge subtil est d’usage et les réalités problématiques sont renversées en leurs opposés positivés : la violence devient mode d’expression maladroit ; l’adaptation au déclin, pédagogie novatrice ; le conflit, échange d’idées pertinent ; le fonctionnement stalinien, pratique démocratique.

La République de Peillon est de type nihliste soviétique. À l’image de celle-ci, l’école pratique la fuite en avant pour ne point chuter trop vite : baisse du niveau, banalisation du hors-norme et discours de déni en sont le résultat. L’école se meurt de l’idéologie et des folies de ses apparatchiks illuminés. Aux professeurs critiques, il est conseillé des stages qui sentent la rééducation et, parfois, une thérapie rappelant la psychiatrisation de l’altérité en ex-URSS.

Déjà l’ombre d’un Mahomet, prêt à combler la béance spirituelle laissée par Marx, se projette sur cette école en dérive. Signes annonciateurs de lendemains verdâtres, la ministre de l’Éducation, incarnation de l’école laïque, siège voilée au Conseil de la communauté marocaine et ne s’émeut pas de l’arrestation d’un jeune chérifien porteur d’une Bible.

Comme les ultras royalistes de 1814, les marxistes, encore habités par l’esprit du « pol-potisme », n’ont rien appris de l’histoire.

À quand une perestroïka scolaire ?

Bruno Riondel




B - Laïcité

De Wikiberal
 
La laïcité désigne le principe de séparation dans l'État de la société civile et de la société religieuse, ainsi que le caractère des institutions qui respectent ce principe.
Selon ce principe, la croyance religieuse relève de l'intimité de l'individu. Les convictions religieuses (ou l'absence de conviction) de chacun, qu'il faut peut-être distinguer des options spirituelles ou métaphysiques théistes plus ou moins indépendantes des religions, sont alors volontairement ignorées par l'administration.
La laïcité implique un enseignement d'où la formation religieuse (dans le sens enseignement de la foi) est absente. Pour autant, l'enseignement des religions n'est pas incompatible avec la laïcité, tant qu'il ne s'agit que de décrire des « us et coutumes », et si l'on présente chaque religion d'un point de vue extérieur à celle-ci (si tant est qu'il soit possible de transmettre une culture religieuse en faisant abstraction du dogme qu'elle véhicule et que l'on puisse traiter toutes les religions de manière égale).
Par ailleurs, le terme laïc est également utilisé au sein de la religion catholique dans un sens très différent: il désigne une personne n'étant pas prêtre mais jouant un rôle actif dans l'organisation et l'animation des activités de l'église. Il s'agit en grande partie de femmes, puisque ces dernières n'ont pas accès à la prêtrise.
À l’époque où l’anglais est devenu la langue internationale, un terme français résiste à toute anglicisation, c’est celui de « laïcité ». Certains en tirent argument pour affirmer que la laïcité est une « exception française ». Peut-être est-il plus exact d’écrire que la laïcité est une « invention française », ignorée par certains pays, plus ou moins bien acclimatée dans d’autres ? Mais, curieusement, si l’histoire des religions s’est beaucoup développée depuis le XIXe siècle, celle de la laïcité reste encore assez largement à écrire. En outre, et ceci explique sans doute en partie cela, plusieurs conceptions différentes de la laïcité s’affrontent encore aujourd’hui, si bien que la définition d’une « vraie laïcité » reste toujours, en France comme ailleurs, un sujet polémique.

Point de vue libéral

Pour les libéraux, la laïcité est une tolérance, une neutralité à l'égard des religions. En matière de laïcité, les deux extrêmes que condamnent les libéraux sont les suivants :
  • proscrire la religion ou les signes religieux ("laïcisme" intolérant) ;
  • tolérer les atteintes aux droits individuels causées par la religion ("laïcisme" relativiste ou laxiste).
En d'autres termes, la laïcité libérale ne consiste pas à rejeter dans la sphère privée la croyance religieuse, mais à la laisser s'exprimer pacifiquement. Contrairement au point de vue étatiste et plus particulièrement social-démocrate, pour lequel l'expression d'une foi doit rester cantonnée au domaine privé et ne pas interférer avec l'espace public. Cette dernière attitude se remarque aussi dans la volonté étatique de contrôler la religion. On peut remarquer que la proscription de « signes religieux » oblige l'État à s'occuper de religion pour définir ce qu'est un « signe religieux », ce qui constitue une violation de la laïcité.
Contestant l'administration de la religion par l'État, Émile Faguet avait bien noté:
L'État est toujours antireligieux, même quand il administre la religion, surtout quand il l'administre; car il ne l'administre que pour la supprimer comme religion véritable. 
 
 
  • « La laïcité n'est pas une opinion, c'est au contraire la liberté d'en avoir une. » 
  • (Jean-Marie Matisson)
 
 

C)Laïcité, neutralité, et subventions

 
Le Conseil d'Etat a rendu, le 4 mai 2012, un arrêt Fédération de la libre pensée et d'action sociale du Rhône qui montre, une nouvelle fois, la souplesse du principe de laïcité, et sa capacité d'évoluer avec la société. La fédération requérante contestait la délibération du conseil municipal de Lyon attribuant à l'association Communauté Sant'Egidio France une subvention pour l'aider dans l'organisation des 19è Rencontres pour la paix. Elle considère que cette aide financière va à l'encontre de l'article 2 de la célèbre loi de séparation des églises et de l'Etat qui énonce que "La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte". Le tribunal administratif avait repris ces arguments et annulé la délibération. La Cour administrative d'appel a, au contraire, considéré que cette délibération ne viole pas le principe de séparation des églises et de l'Etat. C'est précisément cette analyse que le Conseil d'Etat confirme dans son arrêt du 4 mai. 

La neutralité

On le sait, le principe de laïcité figure dans l'article 1er de la Constitution, selon lequel "la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale". Il implique d'abord la liberté de conscience. Aux termes de l'article 1er de la loi de 1905, la République garantit donc à chacun le libre exercice du culte de son choix. A ce principe de liberté de conscience s'ajoute celui de la neutralité de l'Etat, qui exclut toute religion officielle et impose à aux autorités étatiques une véritable obligation d'indifférence à l'égard de la religion. Le système français de laïcité repose ainsi sur l'idée que les convictions de chacun doivent être respectées et que la religion relève exclusivement de la sphère privée. 


L'interdiction de financement public des cultes

Dès lors que la religion est un élément de la vie privée, il n'existe aucun financement public des cultes et le clergé n'est pas rémunéré par l'Etat, sauf dans la zone concordataire d'Alsace Lorraine. La loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat autorise néanmoins la création d'associations cultuelles auxquelles ont été dévolus les biens des établissements du culte. Ces groupements, fondés très simplement sur le fondement de la loi sur les associations de 1901, doivent avoir "exclusivement pour objet l'exercice d'un culte".

La jurisprudence traditionnelle se montre très rigoureuse et considère comme illégale toute subvention directe versée à une association cultuelle. Dès lors que ces groupements ont un objet exclusivement religieux, le juge considère que soit l'objet de la subvention est religieux et donc illégal, soit il n'est pas religieux et, dans ce cas, il se situe en dehors de l'objet social de l'association, autre cas d'illégalité (par exemple, dans l'arrêt du 9 octobre 1992, Commune de St Louis c. Assoc. Siva Soupramanien de St Louis).

Les éléments de souplesse

La sévérité de cette jurisprudence n'empêche tout de même pas l'établissement de certains liens financiers entre les collectivités publiques et les groupements religieux. 

Dans l'article 2 de la loi de 1905, figure ainsi l'autorisation de subventionner sur le budget de l'Etat les services d'aumônerie destinés à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics. D'autre part, l'interdiction de subvention n'interdit pas la rémunération de prestations spécifiques. Par exemple, l'administration pénitentiaire peut passer un accord financier avec une congrégation pour assurer la prise en charge des détenus, principe acquis par un arrêt du 27 juillet 2001, Synd. national pénitentiaire FO. La collectivité passe alors un contrat en échange d'une prestation déterminée. Elle ne subventionne pas un culte.

Enfin, rien n'interdit de renoncer purement et simplement à la contrainte imposée par l'association cultuelle, et son principe de spécialité auquel il est bien difficile de déroger. L'Etat ou les collectivités locales peuvent ainsi subventionner des activités d'intérêt général qui s'exercent dans un cadre confessionnel comme des hôpitaux ou des crèches. 

La qualification d'association cultuelle

Dans le cas de l'arrêt du 4 mai 2012, le Conseil d'Etat fait un pas de plus dans le raisonnement. Il se déclare en effet compétent pour qualifier la nature du groupement que la ville de Lyon a subventionné. Il fait ainsi observe que "les seules circonstances qu'une association se réclame d'une confession particulière ou que certains de ses membres se réunissent, entre eux, en marge d'activités organisées par elles, pour prier, ne suffisent pas à établir que cette association a des activités cultuelles". Une association de fidèles, dès lors qu'elle n'a pas pour mission d'organiser le culte, n'est donc pas une association cultuelle. En l'espèce, ce groupement se bornait à organiser un colloque réunissant des participants de différentes confessions. Quand bien même quelques "personnalités religieuses" figuraient parmi les participants, quand bien même les travaux étaient quelquefois interrompus pour permettre à chacun de remplir ses devoirs religieux, le groupement n'était pas une association cultuelle. La ville de Lyon pouvait donc parfaitement subventionner le colloque, sans violer la loi de 1905. 

Certains pourront penser que cet arrêt confère au juge la possibilité d'admettre ou non la légalité d'une subvention à partir de la qualification d'association cultuelle qu'il délivre lui-même. D'autres estimeront qu'une telle jurisprudence exprime une laïcité apaisée, une relation sereine entre les autorités publiques et religieuses.
 
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